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La Rue Cambon a consacré son rapport annuel à l’adaptation de l’action publique au changement climatique. Parmi les politiques analysées, l’immobilier de l’État apparaît comme un “angle mort”. Au-delà du travail à mener sur la réduction des émissions de son patrimoine, l’État est sommé d’élaborer des actions d’adaptation, fondées sur des données qui demeurent aujourd’hui lacunaires.
Canicules, inondations, tempêtes… Comme l’ensemble des bâtiments, ceux appartenant à l’État subissent, et vont subir de manière croissante, les effets du changement climatique. Exposant ainsi usagers des services publics et agents à de nombreux risques. Or, malgré l’ampleur de son parc, composé de 95 millions de mètres carrés répartis sur 200 000 bâtiments, l’État n’a pas encore entamé de réflexion autour de l’adaptation au réchauffement climatique de son patrimoine et le “confort d’usage” de ses locaux. La Cour des comptes va même jusqu’à affirmer que “l’immobilier de l’État constitue encore un angle mort de la politique d’adaptation au réchauffement climatique”, dans son rapport annuel publié ce mardi 12 mars et consacré à l’adaptation de l’action publique au changement climatique.
L’État a intégré seulement de manière “très récente” la question de l’adaptation de ses bâtiments au réchauffement climatique, la priorité étant pour le moment donnée à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de son empreinte carbone. “De ce fait, les outils de diagnostic et de mesure nécessaires n’ont pas été développés”, regrette ainsi la Rue Cambon. Même chose en matière de financement : lorsque des crédits budgétaires sont accordés, ce sont majoritairement la rénovation énergétique et la recherche d’économies d’énergie qui sont ciblées.
Le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) et la direction de l’immobilier de l’État (DIE) ont bien engagé un groupe de travail intitulé “Planification écologique, bâtiment de l’État”, ayant pour objectif de proposer une trajectoire financière pluriannuelle de rénovation des bâtiments publics. Mais s’il vise l’atténuation des émissions, il n’étudie pas l’adaptation des bâtiments au changement climatique.
En effet, alors que différents scénarios avaient été envisagés, celui qui intégrait ce volet “a rapidement été écarté en raison des efforts financiers qu’il aurait fallu consentir, jugés hors de portée dans le contexte budgétaire actuel”, note la Cour des comptes. Qui préconise donc d’intégrer d’urgence cet axe à la politique immobilière de l’État à travers la future stratégie française sur l’énergie et le climat, et que celle-ci fasse l’objet “de déclinaisons opérationnelles dans les stratégies ministérielles nationales et déconcentrées”.
Démarche participative
Comme le souligne la Cour, l’adaptation des bâtiments de l’État est foncièrement liée à la politique menée par d’autres acteurs, en particulier les collectivités territoriales, maîtresses en matière d’aménagement des territoires et d’urbanisme. “L’adaptation des bâtiments de l’État dépend par conséquent des règles de construction-rénovation qui s’imposent dans le territoire où ils se trouvent et de l’environnement urbain qui les entoure : végétalisation, désimperméabilisation des sols, suppression des points chauds, mobilités douces et décarbonées, etc.”, peut-on lire dans le rapport annuel, dont les auteurs appellent par conséquent à mettre en cohérence les schémas directeurs immobiliers régionaux de l’État avec les documents d’orientation des collectivités.
La coopération peut également se manifester par la mise en commun des analyses des risques, des diagnostics immobiliers, des outils et de la programmation des travaux. “Une coordination locale par l’État (préfets ou sous-préfets) devrait permettre de développer des synergies et des économies d’échelle entre l’immobilier de l’État et ceux des collectivités locales”, observe ainsi la Cour.
Mais les collectivités locales ne sont pas les seules partenaires que devrait mobiliser l’État : l’avis des usagers et des agents publics officiant dans les locaux devrait également être pris en compte. “En la matière, des démarches participatives doivent être imaginées et pratiquées pour garantir la bonne adéquation des aménagements prévus aux besoins réels”, précise ainsi le rapport.
Des outils de diagnostic à consolider
L’une des principales raisons de ce “réel retard” pris par l’État : “une connaissance insuffisamment fine des caractéristiques et de l’état d’entretien de ce parc de taille considérable”. Mesurer le risque nécessite des outils de recensement et de diagnostic des bâtiments, que la DIE a bien développés, comme le salue la Cour des comptes. Mais le problème est qu’ils sont seulement en cours de déploiement et qu’un tiers du patrimoine n’est pas encore couvert.
Les données dont dispose l’État à ce stade devraient être complétées dans deux domaines : à travers une “caractérisation technique exhaustive des locaux”, mais aussi un élargissement du type de données collectées. Sans avoir d’informations fiables et précises sur la qualité des matériaux, l’exposition solaire ou encore les relevés des températures, l’État ne sera pas en mesure d’élaborer une politique efficace d’adaptation de son parc au changement climatique, juge la Rue Cambon.
“La fiabilisation et la complétude techniques de l’inventaire des bâtiments de l’État, la déclinaison territoriale des scénarios de réchauffement et leur confrontation aux caractéristiques des bâtiments recensés, la mise à disposition d’outils de diagnostic et d’aide à la décision sont autant de chantiers à lancer ou à accélérer pour répondre aux enjeux d’adaptation de la politique immobilière de l’État au changement climatique”, insiste ainsi le rapport.
Formaliser l’objectif d’adaptation
En résumé, des objectifs en matière d’adaptation au changement climatique devraient donc être clairement formulés dans la stratégie immobilière de l’État, selon une trajectoire adaptée, territorialisée et fondée sur de solides diagnostics. Les deux principales préconisations de la Cour sont donc les suivantes : fiabiliser un référentiel technique de l’immobilier de l’État à travers une connaissance des composantes des bâtiments et intégrer l’objectif d’adaptation dans la politique immobilière de l’État.
“Ces solutions doivent s’inscrire dans des schémas pluriannuels coordonnés avec l’ensemble des parties prenantes, conclut la Cour des comptes. Elles doivent enfin découler d’une programmation ambitieuse et soutenable des investissements, dont la mise en œuvre devra s’échelonner pour répondre aux situations les plus prioritaires.”
Adaptation au changement climatique : les administrations en première ligne
Logements, parc nucléaire, réseau ferroviaire… Le rapport public annuel de la Cour des comptes analyse les différents chantiers de l’adaptation au réchauffement climatique à l’échelle nationale. Et comme l’affirme l’institution, “la question de l’adaptation au changement climatique intéresse tous les domaines de l’action publique”. Si elle doit impliquer l’ensemble des parties prenantes, des entreprises aux ménages, elle “concerne au premier chef les administrations publiques”, soit les services de l’État, les collectivités, les établissements et entreprises publiques. La Cour des comptes somme donc l’État d’endosser pleinement son “rôle de stratège” sur ce sujet central, qui doit se matérialiser par une action publique cohérente ainsi que par une planification claire, fondée non seulement sur des objectifs mais également sur une trajectoire permettant de les atteindre.
Les 16 enquêtes figurant dans le rapport concernent :
• la place et le rôle de la recherche publique,
• le rôle des institutions financières et bancaires,
• la contribution de l’Agence française de développement (AFD),
• l’adaptation des logements,
• l’adaptation des villes,
• l’adaptation des parcs nucléaire et hydroélectrique,
• l’adaptation des réseaux de transport et de distribution d’électricité,
• l’adaptation du réseau ferroviaire national,
• la prise en compte de l’adaptation au changement climatique dans la politique immobilière de l’État,
• le ministère des Armées face aux défis du changement climatique,
• la gestion durable de la forêt métropolitaine,
• la gestion du trait de côte,
• la prévention des catastrophes naturelles liées au climat en outre-mer,
• la protection de la santé des personnes vulnérables face aux vagues de chaleur,
• l’adaptation des cultures céréalières,
• les stations de montagne face au changement climatique.
Article Acteurs Publics du 12 mars 2024
Article publié le 27 mars 2024.