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À Nice, les ­petits pas du droit au logement.

Le dispositif Loc’Avantages, accessible depuis le 1er avril, doit permettre la mise sur le marché d’appartements à des loyers abordables pour les plus défavorisés, en échange d’avantages fiscaux pour les propriétaires. C’est le système de l’intermédiation locative, qu’une association pratique déjà avec succès.

Sept cent cinquante euros pour un F3 de 63 mètres carrés au 6e étage, avec une terrasse d’où l’on aperçoit la mer : Ychrak Mansouri mesure sa chance de payer un loyer bien inférieur au prix du marché, dans le quartier Saint-Barthélemy, à Nice. La jeune femme se souvient d’avoir franchi pour la première fois le seuil de cet immeuble agréable des années 1960 « à midi moins dix, le 24 mars 2019 ». Et de son bonheur d’avoir pu quitter l’hôtel meublé où elle vivait avec ses deux filles faute de mieux, et qui lui coûtait presque aussi cher, sans qu’elle puisse bénéficier de l’aide au logement. Ychrak, employée d’une entreprise de nettoyage, désormais cheffe d’équipe, ne s’appesantit pas sur cette période difficile, mais Marame, sa fille aînée âgée de 10 ans, évoque un studio « très serré, avec de l’eau qui coulait du plafond et des bagarres dans l’immeuble ». Bien différent de cet appartement lumineux à la terrasse « gigantesque », dont elle apprécie la chambre bleue, qu’elle partage avec sa sœur, Jurie, 8 ans, la cuisine qu’elles ont redécorée, les W.-C. séparés de la salle de bains. Sa mère savoure le calme des lieux, où « chacun peut faire sa vie ».

Ychrak Mansouri bénéficie d’une intermédiation locative, système inventé il y a une trentaine d’années par l’association Habitat et humanisme, appelé à se développer dans le cadre de Loc’Avantages, dispositif gouvernemental dont la plateforme a ouvert le 1er avril. C’est cette association agréée, qui joue le rôle d’intermédiaire : elle assure la location à des personnes en difficulté, reverse le loyer, y compris en cas d’impayé ou de vacance, entretient l’appartement et le remet en état à l’issue des six ans d’engagement. En contrepartie de cette sécurité de gestion et d’avantages fiscaux, la « propriétaire solidaire » consent un loyer en dessous des prix du marché. Les bailleurs du parc immobilier privé sont ainsi incités à proposer des logements à tarifs sociaux, qui font cruellement défaut en France, et particulièrement sur la Côte d’Azur.

Les locataires d’Habitat et humanisme se voient aussi proposer un accompagnement plus global, par un bénévole. « C’est la spécificité de notre association : nous voulons les aider à se réinsérer durablement », explique Didier Mazé-Launay, qui joue ce rôle auprès d’Ychrak. Lui et les permanents de l’association prennent régulièrement des nouvelles de cette mère célibataire d’origine tunisienne, qui a quitté l’Italie de sa jeunesse pour Nice après son divorce. Ils ont rééchelonné ses loyers quand le confinement l’a mise au chômage partiel. « Didier » lui a donné des bons d’achat de livres, dont ses filles parlent encore. Et c’est grâce au bénévole qu’elles sont parties à la montagne un été et à Paris cet automne, à tout petit prix. Elle sait cependant que ce havre est provisoire - pas plus de trois ans, en principe - et cherche un appartement où elle pourra « rester longtemps ». Après deux visites infructueuses - « il faut un quartier où on peut habiter sans problème avec deux filles » -, elle a réussi à ­rencontrer un conseiller municipal et a bientôt rendez-vous avec un bailleur social.

Mostafa Assou a passé deux ans dans un appartement dont l’association assurait l’intermédiation locative. « C’était un rez-de-chaussée rue de France, très bien placé mais pas terrible, à cause de l’humidité », dit-il dans un large sourire. Pour ce Marocain naturalisé français, titulaire d’un doctorat en sciences de l’éducation, l’essentiel était ailleurs : lui qui galérait d’un logement et d’un travail précaires à l’autre après un « accident de vie » - un divorce conflictuel doublé d’un licenciement abusif - s’est senti « compris, respecté et soutenu par Habitat et humanisme, qui porte bien son nom ». Il a repris confiance, suivi une formation de cadre du ­secteur médico-social puis retrouvé, à 63 ans, un emploi stable. Il a aussi emménagé dans un appartement flambant neuf que l’association gère directement, dans une zone d’activité tout au bout de la ligne 3 du tramway.

Présente dans toute la France, Habitat et humanisme n’a jamais reçu autant d’appels de propriétaires intéressés que ces dernières semaines. La toute récente réforme du gouvernement rend ce mécanisme plus attractif, avec des primes pouvant aller jusqu’à 3 000 euros à l’entrée du dispositif et des avantages fiscaux améliorés dans les zones très tendues, comme à Nice. L’exécutif espère ainsi une rapide montée en puissance de l’intermédiation locative - qu’il compte d’ailleurs mobiliser pour héberger les réfugiés qui arrivent d’Ukraine. À Nice, où ils affluent en nombre et où trouver des « propriétaires solidaires » n’est pas si facile, Habitat et humanisme s’apprête à tester l’intermédiation locative avec un bailleur social, qui pourra garder les futurs locataires si la période d’accompagnement se passe bien. De quoi « développer le dispositif, qui a déjà pris de l’ampleur, avec 89 ménages concernés l’an dernier », salue Anthony Borré, premier adjoint du maire, Christian Estrosi (LR). La métropole subventionne Habitat et humanisme et une autre association pour chacun des logements gérés par ce biais ; et elle conseille et aide financièrement les propriétaires qui rénovent un bien en vue de le louer ainsi. Avec un intérêt bien compris : les appartements en intermédiation locative entrent dans le calcul du taux de logements sociaux. Or, à Nice, malgré des progrès, ce taux demeure inférieur à 14 %. Bien loin des 25 % requis par la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), dont le Parlement vient de voter la prolongation au-delà de 2025.

Article Le Monde Magazine du 2 avril 2022

Article publié le 8 avril 2022.


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