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"Augmenter l’âge de départ à la retraite relève de l’idéologie ultralibérale"

Alors que l’allongement de l’âge du départ à la retraite revient régulièrement sur le devant de la scène, Éric Le Bourg, chercheur au CNRS et à l’université de Toulouse, explique pourquoi, sur le plan biologique, il s’agit d’une très mauvaise idée.

Depuis des décennies, les gouvernements durcissent les conditions d’accès à la retraite. D’un point de vue comptable, le résultat est que les déficits ont été pratiquement nuls de 2017 à 2019, 2020 étant une année exceptionnelle. D’un point de vue social, le résultat est que les salariés s’inquiètent pour leurs vieux jours et, en particulier, les jeunes soumis à la précarité, au chômage, et aux bas salaires considèrent parfois qu’ils n’auront pas de retraite.

De plus, on sait maintenant que le niveau de vie des retraités, après avoir atteint en moyenne la parité avec les actifs, va décroître par rapport à eux dans les années qui viennent. Les besoins de financement des retraites semblent minimes puisque les projections du Conseil d’orientation des retraites indiquent que la part du PIB nécessaire pour les payer sera stable ou diminuera jusqu’en 2070, avec bien sûr toutes les incertitudes sur ces calculs et les hypothèses qui les sous-tendent.

Pourtant, alors que l’âge effectif de départ s’accroît déjà actuellement, du fait de l’augmentation jusqu’en 2035 de la durée d’assurance pour avoir une retraite à taux plein, et devrait atteindre 64 ans dans les années qui viennent, des responsables politiques veulent augmenter l’âge légal de départ entre 64 et 67 ans, ce qui implique un âge au taux plein de 69 à 72 ans dans la législation actuelle. Cette proposition, avec une surenchère à qui proposera l’âge le plus élevé, semble témoigner d’une obsession idéologique : l’âge de départ n’est jamais assez élevé et il faut l’augmenter à chaque changement de gouvernement ou de majorité, sans tenir compte de toute autre considération économique, sociale, mais aussi biologique.
« Si les sexagénaires d’aujourd’hui ont peu à voir avec ceux d’il y a un siècle, il n’empêche que l’espérance de vie en bonne santé est inférieure à 65 ans pour les hommes et à 66 ans pour les femmes. »

Dans le meilleur des cas, cela témoigne de l’ignorance de la biologie du vieillissement, en considérant qu’on peut et doit travailler à des âges de plus en plus avancés. Il faut donc rappeler quelques faits, avant que d’autres responsables ne proposent de porter l’âge légal de départ à 68 ou 70 ans, avec un âge au taux plein de 73 ou 75 ans.

Le monde a changé. De nos jours, l’espérance de vie des femmes est d’environ 85 ans et celle des hommes s’approche de 80. C’est une bonne nouvelle, montrant que nos sociétés ont accompli de grands progrès. Toutefois, l’espérance de vie à la naissance, c’est-à-dire l’âge qu’atteindrait un bébé né aujourd’hui s’il était soumis toute sa vie aux conditions de mortalité de l’année en cours, n’est pas extensible à l’infini et dépend des caractéristiques de notre espèce. Les souris vivent environ 3 ans, les éléphants 70, et aucun humain n’a vécu plus de 120 ans, sauf Jeanne Calment. Depuis quelques années, l’espérance de vie n’augmente plus guère et peut même décroître les années de canicule, de forte grippe ou de pandémie.

Si les sexagénaires d’aujourd’hui ont peu à voir avec ceux d’il y a un siècle, il n’empêche que l’espérance de vie en bonne santé, période avant les premières limitations fonctionnelles, est inférieure à 65 ans pour les hommes et à 66 ans pour les femmes. La longévité maximale de notre espèce limite l’espérance de vie et, parce qu’il existe une variabilité des âges au décès et du vieillissement, il est illusoire d’espérer que bientôt chacun vivra centenaire en parfaite santé avant de s’éteindre subitement à 120 ans. Demain, il y a toutes les raisons de penser que l’espérance de vie sera du même ordre qu’aujourd’hui, stagnante ou un peu plus élevée, ponctuellement en baisse en cas d’évènement touchant fortement les personnes âgées, voire déclinante si les conditions de vie se dégradent, comme on peut l’observer aux États-Unis.
« Des dirigeants politiques expliquent qu’il faut encore augmenter l’âge légal de départ à la retraite, comme si cet âge pouvait être fixé sans tenir compte de la biologie humaine et reposait uniquement sur des critères comptables. »

En somme, en dépit des changements positifs intervenus dans nos sociétés, nous restons soumis à notre biologie qui fait que tout n’est pas possible. La société doit s’adapter à la biologie humaine, parce que le contraire n’est simplement pas possible très longtemps. S’intéressant à la longueur de la journée de travail, Karl Marx écrivait dans Salaire, prix et profit qu’« une succession rapide de générations débiles et à existence brève approvisionnera le marché du travail tout aussi bien qu’une série de générations fortes et à existence longue ». Toutefois, la journée de travail était si proche des limites physiologiques des adultes ou des enfants que les dirigeants durent se résoudre à la limiter pour ne pas voir leur population disparaître à terme.

Des dirigeants politiques expliquent qu’il faut encore augmenter l’âge légal de départ à la retraite, comme si cet âge pouvait être fixé sans tenir compte de la biologie humaine et reposait uniquement sur des critères comptables. La version la plus extrême de ce raisonnement est peut-être celle de la banque fédérale allemande, la Bundesbank, qui écrivait le 21 octobre 2019 qu’il faudrait relever l’âge de la retraite après 2030 à 69 ans et 4 mois en 2070 pour les personnes nées en 2001, et on suppose à des âges plus élevés pour les générations suivantes.

Il est intéressant de noter qu’en France, on peut mettre à la retraite un salarié à ses 70 ans, ce qui revient à admettre qu’après cet âge, le maintien d’une activité professionnelle peut être problématique, y compris pour l’employeur. Pourtant, certains demandent le report de l’âge légal à 67 ans en France, et donc un âge au taux plein de 72 ans : dans les faits, un âge légal de 67 ans entérine qu’une partie des salariés n’aura jamais droit à une retraite au taux plein, sauf si on augmente l’âge de la mise à la retraite d’office à, par exemple, 75 ans.

En somme, augmenter encore l’âge légal de départ revient à faire travailler des gens dont les capacités physiques ne sont plus optimales. Cette mesure est déconnectée de la réalité biologique du vieillissement, et donc des capacités de travail, et peut-être même aussi des souhaits des entreprises. Si les dirigeants patronaux demandent constamment un report de l’âge légal, sur le terrain, les entrepreneurs se séparent souvent de leurs salariés âgés et on doute qu’ils aient envie de les faire travailler jusqu’à 70 ans ou plus.

Proposer une augmentation continuelle de l’âge de départ relève plus de l’idéologie ultralibérale que d’une réflexion sérieuse sur le travail à un âge avancé et les réalités du vieillissement. Si, par hypothèse, des responsables politiques étaient sincèrement inquiets du coût des retraites, qui devrait pourtant diminuer dans les années qui viennent et jusqu’en 2070, limite des projections du Conseil d’orientation des retraites, on ne peut que leur suggérer d’intégrer à leur réflexion des notions élémentaires sur le vieillissement. Cela leur permettra peut-être d’envisager d’autres sources de financement que celles auxquelles ils pensent spontanément, les salariés et les personnes âgées.

Article Marianne du 3 décembre 2021

Article publié le 6 décembre 2021.


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