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Chez Louis Vuitton, les profits augmentent, le temps de travail aussi

Alors que LVMH a connu une année 2021 record, les salariés de la maison de maroquinerie de luxe, qui tire la croissance du groupe, contestent le nouvel accord d’annualisation destiné à les pressurer davantage.

Sous les arcades de briques blanches des ateliers Louis Vuitton d’Asnières (Hauts-de-Seine), la colère bout. Les petites mains de la maison française de maroquinerie de luxe, fleuron du groupe LVMH, dénoncent un« passage en force »après la signature mardi par la CFTC, majoritaire, d’un accord d’annualisation du temps de travail qui conduira les salariés à travailler plus… pour une augmentation dérisoire, avec des salaires trop modestes pour boucler les fins de mois. Le site était, jeudi, à l’appel de la CGT et de la CFDT, le théâtre d’un débrayage, tout comme les ateliers de Sarras (Ardèche) et d’Issoudun (Indre) ; ici, sur près de 240 salariés, 130 étaient sortis, selon les syndicats.

Jean-Marc Damelincourt y travaille depuis trente-trois ans. Il fabrique les serrures posées sur des malles aux prix faramineux : plusieurs dizaines de milliers d’euros pour les plus chères. En fin de carrière, à 57 ans, il gagne, sans les primes, 2 200 euros. Ce représentant du personnel CFDT au CSE calcule les heures de liberté que les salariés perdront dans cette réorganisation :« Avec l’accord sur la réduction du temps de travail, on travaillait 1 589 heures. Là, comme ils veulent augmenter la capacité de production, on travaillerait en moyenne 33 heures par semaine sur deux cents jours, au lieu de 35 heures sur deux cent dix-huit jours. Mais dix-neuf jours seraient aux mains de l’employeur, qui pourrait alors nous faire travailler comme il veut, avec une majoration de 25 % et une rémunération versée pour moitié à la fin de l’année, pour l’autre moitié l’année suivante. Au total, on travaillerait 1 654 heures. »

Autre motif de discorde : les horaires. Pressé d’élargir l’amplitude de fonctionnement de ses ateliers, Louis Vuitton n’embauche plus en journée, seulement sur les horaires du matin et du soir – ces derniers seraient décalés jusqu’à basculer dans la nuit : les salariés ne pourraient quitter leur poste qu’à 21 h 20. Celles et ceux qui jugent ces horaires invivables sont invités… à se replier sur le temps partiel.

La direction du groupe, elle, assure être attentive à « l’équilibre vie privée-vie professionnelle » des salariés ; elle se flatte même d’avoir assorti cet accord d’une augmentation de 150 euros – en fait, 88 euros net, primes déduites – et de mener une« politique de rémunération avantageuse », avec« en moyenne dix-huit mois de salaire par an ». Faux, rétorque Mia, affectée, pour 1 500 euros net par mois, hors primes, à la fabrication de sacs « exotiques » en peau d’autruche, de python, de lézard ou de crocodile vendus des fortunes.« Ils prétendent nous rémunérer dix-huit mois par an parce qu’ils incluent la participation et l’intéressement. Mais lorsque nous débloquons cet argent sans attendre cinq ans, parce que nous en avons besoin pour vivre, notre imposition s’envole, c’est un cercle vicieux. Pour la plupart d’entre nous, nous sommes à découvert le 15 du mois », explique cette trentenaire qui se dit« dépitée »par la signature de cet accord.« Ce métier d’artisanat, on l’aime, on le fait avec passion et fierté, mais on ne veut pas sacrifier nos vies de famille, poursuit-elle. On se déchire la santé, on met notre corps à l’ouvrage.On ne demande pas grand-chose, juste de la reconnaissance et pouvoir vivre correctement. Ce n’est pas la lune, pour un grand groupe comme ça ! »

64,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021

À ses côtés, Mireille Bordet, déléguée syndicale CFDT, une quinquagénaire élégante aux reparties savoureuses, raconte les jeunes collègues payés 1 200 euros sans les primes que les loyers mettent sur la paille, celles et ceux qui sont contraints, parfois, d’aller aux restaurants du cœur – ils sont au moins trois sur ce site, assure-t-elle.« Quand vous vous présentez à la banque en disant que vous travaillez chez Louis Vuitton, on vous déroule le tapis rouge. Mais quand ils voient vos fiches de paie, le tapis, il est vite retiré », grince-t-elle.

Karim affirme, lui aussi, finir« chaque mois dans le rouge ».« Pendant la pandémie, nous sommes restés confinés deux mois. S’ils ne nous ont pas mis au chômage partiel, c’était surtout pour garder la possibilité de verser des dividendes aux actionnaires,fait-il remarquer.Le reste du temps, nous sommes venus travailler. Pour quelle reconnaissance ? 20 euros d’augmentation. »

Le groupe de luxe de Bernard Arnault, troisième homme le plus riche du monde, se montre plus prodigue avec les actionnaires, auxquels il versera cette année un dividende de 10 euros par action, en hausse de 66 %. Pour LVMH, le ressac de la pandémie n’est plus qu’un lointain souvenir : son chiffre d’affaires, en 2021, grimpe à 64,2 milliards d’euros, en hausse de 44 % sur 2020 et de 20 % par rapport à 2019. Avec un bénéfice net de 12,3 milliards d’euros, en hausse de 68 % par rapport à 2019. Une croissance tirée par sa division mode et maroquinerie (+ 42 % par rapport à 2019), qui franchit le cap des 30 milliards, avec une rentabilité en hausse de 75 %. Les petits salaires de Louis Vuitton font la grosse fortune de Bernard Arnault.

Article L’Humanité du 17 février 2022

Article publié le 17 février 2022.


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