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La « Grande Sécu » se joue au bras de fer

Une assurance maladie universelle ? Le scénario, étudié de près par le gouvernement, ressemble à un film catastrophe pour les mutuelles.

Après deux ans d’une épidémie de Covid qui n’en finit pas, le sujet de la santé va immanquablement s’inviter dans la campagne présidentielle. Le ministre de la Santé Olivier Véran fait en tout cas tout pour le mettre à l’agenda politique. En commandant un rapport sur l’hypothèse d’une « Grande Sécu » qui absorberait les mutuelles et autres assurances complémentaires, il a suscité une fronde de tout le secteur des complémentaires santé. A leur tête, Eric Chenut, le tout nouveau président de la Fédération de la mutualité française, ne mâche pas ses mots : « La nationalisation des complémentaires est une obsession du ministre, cingle-t-il. Déjà en 2018, comme député, il avait ce projet. »

Pour le leader des mutuelles, l’heure est grave. Car si le débat sur l’instauration d’une assurance maladie universelle ne date pas d’hier, le scénario n’avait jamais été aussi précisément étudié. Et c’est bien de la faute du ministre, qui a poussé les experts du Haut Conseil de l’assurance maladie à le détailler. Le 18 novembre, ils ont dévoilé un chiffrage ultra-précis : l’assurance maladie reprendrait 19 milliards d’euros de soins remboursés par les organismes complémentaires, qui verraient leur chiffre d’affaires chu-ter de 70 % ! Une véritable déclaration de guerre. « C’est un secteur de 100 000 emplois qui serait passé par pertes et profit, s’alarme Eric Chenut, qui est aussi vice-président délégué de VYV, premier groupe mutualiste de santé en France. Je me demande bien comment le gouvernement va s’y prendre pour effectuer un tel plan social. »

Lubie de technocrates

En apparence, Olivier Véran calme le jeu. « Il n’y a pas de projet gouvernemental décidé en sous-main, a-t-il assuré devant les députés. Il y a une réflexion et c’est très sain de réfléchir. » Mais, en coulisses, il pousse l’idée auprès de l’Elysée et espère qu’elle sera intégrée au futur programme d’Emmanuel Macron. Avec le relais de personnages clés dans l’ombre du pouvoir. A l’image de Nicolas Revel, le bras droit de Jean Castex à Matignon, Thomas Fatôme, le très puissant patron de l’assurance maladie, et Franck Von Lennep, le directeur de la Sécurité sociale. « C’est une vieille lubie de technocrates, déplore un dirigeant de mutuelle, qui risque cette fois de s’installer dans la campagne. » Le président aurait déjà montré son intérêt pour une mesure marquée à gauche, qui permettrait de rejouer la carte du « en même temps ».

Syndicats vs économistes

Face à ces manœuvres, Eric Chenut sort l’artillerie lourde dans les médias. Et tente de fédérer tous les opposants. Outre sa puissante fédération et celles des instituts de prévoyance et des compagnies d’assurances, qui pèsent lourd au Medef, il peut compter sur le soutien des organisations syndicales. Très présentes dans les mutuelles et instituts de prévoyance, elles sont a priori défavorables à l’idée d’une « Grande Sécu ». Seule la CGT, qui défend depuis plusieurs années le « 100 % Sécu », tout en souhaitant préserver les mutuelles, va devoir clarifier sa position. En martelant que le projet aboutirait à une « étatisation » de la santé, Eric Chenut cherche aussi à rallier les syndicats de médecins. Avec un certain succès : le patron du premier syndicat médical (CSMF), Jean-Paul Ortiz, rejette la « Grande Sécu », tout comme la plupart des syndicats de spécialistes. Côté politiques, Xavier Bertrand, candidat à la présidentielle et ancien assureur, s’insurge contre une « folie » qui « créerait une médecine à deux vitesses ». Mais Olivier Véran dispose aussi de solides appuis. La « Grande Sécu » bénéficie du soutien quasi unanime des économistes.

Dès 2014, le Prix Nobel Jean Tirole s’associait à deux économistes de la santé renommés, Brigitte Dormont et Pierre-Yves Geoffard, pour dénoncer les effets pervers d’un « système mixte » qui pousse les dépenses à la hausse : dépassements d’honoraires, prix des lunettes… En 2017, le directeur des hôpitaux de la région parisienne Martin Hirsch et l’économiste Didier Tabuteau pointaient le gâchis des frais de gestion redondants : 7,6 milliards pour les seules complémentaires (voir graphique). Cet été, la Cour des comptes a épinglé « un système en partie inéquitable » qui profite aux salariés du privé mais pénalise les fonctionnaires et surtout les retraités à cause d’une tarification des complémentaires augmentant avec l’âge. Autres partisans de la réforme : l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon et le premier syndicat de généralistes, MG France.

Menace présidentielle

Bref, le bras de fer entre le ministre de la Santé, 41 ans, et le président de la Mutualité française, 48 ans, est loin d’être fini. Il constitue même le nouveau round d’une lutte qui aura duré tout le quinquennat. En 2020, le gouvernement avait en effet calculé que les organismes complémentaires avaient réduit leurs remboursements de soins de près de 2,5 milliards d’euros, confinement oblige, et décidé de les ponctionner de 1,5 milliard. Au grand dam des patrons de mutuelles, qui anticipaient un rattrapage post-Covid. Début 2019, Emmanuel Macron était furieux de la hausse des tarifs des complémentaires accompagnant la mise en œuvre de sa promesse phare de campagne sur le remboursement à 100 % des lunettes et audioprothèses. « C’est simple, si vous ne jouez pas le jeu, tout sera public et tout passera par l’assurance maladie », avait-il menacé lors d’une réunion avec les fédérations à l’Elysée racontée dans Le Livre (très) noir des mutuelles (éd. Albin Michel). Peut-être pas une parole en l’air.

Article Challenges du 25 novembre 2021

Article publié le 25 novembre 2021.


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