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Monétisation des RTT : une régression sociale masquée

AU DÉTOUR DU PROJET DE LOI de finances rectificative 2022, la majorité relative présidentielle, soutenue par Les Républicains et le Rassemblement national, a réussi le tour de force de faire voter une mesure dérogatoire au Code du travail, qui accroît le lien de subordination entre le salarié et l’employeur, affaiblit le dialogue social en entreprise et porte un coup sans précédent aux 35 heures.

Elle stipule que « le salarié, quelle que soit la taille de l’entreprise, peut, sur sa demande et en accord avec l’employeur, renoncer à tout ou partie des journées ou demi-journées de repos acquises au titre des périodes postérieures au 1er janvier 2022 et jusqu’au 31 décembre 2023 en application d’un accord ou d’une convention collective instituant un dispositif de réduction du temps de travail ». Il est précisé également que « les heures correspondantes ne s’imputent pas sur le contingent légal ou conventionnel d’heures supplémentaires », ce qui permettrait de ne pas comptabiliser ces heures monétisées, et donc de s’affranchir de toute référence à la durée légale du travail.

Aujourd’hui, le paiement des jours de RTT n’est possible que si un accord d’entreprise ou de branche signé par des organisations syndicales représentant la majorité des personnels le prévoit ou si l’absence de prise de RTT est imputable à l’employeur.

Derrière cet amendement qui se pare des vertus du « gagnant-gagnant » se cachent en réalité la fin du cadre et des garanties collectives du temps de travail et la consécration du gré à gré laissant le salarié seul face à l’employeur. L’absence de conditionnalité de négociation sociale pour activer ce dispositif offre un formidable outil unilatéral de remise en question des 35 heures et ce, au moment où se matérialisent les effets indésirables des ordonnances Macron de 2017 réduisant la couverture des entreprises par les délégués syndicaux et les institutions représentatives du personnel.

Comment ne pas y voir un puissant levier pour l’employeur, lui permettant de refuser l’attribution de jours de repos en arguant du paiement de ceux-ci, face à un salarié tiraillé entre son besoin de repos et l’amélioration de son pouvoir d’achat ? Amélioration relative au demeurant, car proposer de payer des RTT majorées à 10 % plutôt que des heures supplémentaires majorées à 25 %, c’est offrir de « travailler beaucoup plus pour gagner peu ».

Ainsi, à l’instar des multiples dispositifs de prime, cette disposition sert surtout à éviter de traiter le vrai sujet du pouvoir d’achat : les augmentations de salaires. Enjeu qui devrait donner lieu à de grandes négociations collectives au niveau interprofessionnel, dans les branches et dans les entreprises.

Mais ce n’est pas tout : aujourd’hui la possibilité « encadrée » de monétisation est soumise à cotisations, contribuant ainsi au financement de la protection sociale. La nouvelle disposition, elle, exonère l’employeur du versement de cotisations patronales, ce qui affaiblit ce financement.

Enfin, que penser du revirement du « candidat président » qui avait fait sien, lors de sa campagne, le concept de « banque du temps » ?

Cette idée, qui s’inscrit dans la perspective libératrice de redonner aux individus une maîtrise de leur choix de vie, permettrait d’adapter son temps de travail au fil de sa vie professionnelle au moyen d’un « compte épargne temps universel », portable et non monétisable. Le sujet est censé figurer au menu d’une concertation à l’automne avec les partenaires sociaux, dont personne ne connaît encore réellement les contours. Cette manière de le préempter dans une optique radicalement opposée à la philosophie souhaitée par ses promoteurs, pour sceller une majorité de circonstance, est une triste illustration des faux-semblants du « en même temps ». Elle témoigne surtout d’une confusion entretenue à dessein entre logiques de marchandisation et d’émancipation.

Que les équilibres parlementaires imposent de construire des compromis, on le comprend. Mais pas à n’importe quel prix.

* Respectivement expert relations sociales et député européen. Parmi les autres signataires : François Hommeril, président de la CFE-CGC ; Dominique Méda, professeure de sociologie ; Olivier Mériaux, ex-directeur général adjoint de l’Anact ; Eva Sas, députée de Paris.

Article Le Journal du Dimanche du 31 juillet 2022

Article publié le 1er août 2022.


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