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Par les Urssaf, l’État va faire main basse sur les réserves des retraites complémentaires

Les Français en ont-ils conscience ? L’État va placer sous son contrôle l’argent des retraites complémentaires du privé. Le gouvernement pourra donc, s’il le souhaite, disposer à son gré de cette manne pour combler les déficits d’autres régimes.

En effet, le recouvrement des cotisations des salariés du privé à leurs caisses de retraite complémentaires, l’Agirc et l’Arrco, sera bientôt confié aux Urssaf (Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales). Ce bouleversement devait avoir lieu à partir de janvier prochain. Mais, voilà quelques jours, après un débat parlementaire assez vif, l’article a d’abord été supprimé par les députés, sous l’impulsion de Charles de Courson (Libertés et territoires, Marne), puis rétabli par le gouvernement, avant d’être adopté dans le texte imposé par le 49-3. Seule concession faite par le gouvernement : repousser l’entrée en vigueur au 1er janvier 2024.

Urssaf. Le sigle fait penser à l’URSS. Évidemment, l’analogie a ses limites. Mais enfin, il ne faut pas une grosse loupe pour découvrir quelques traits communs : un fonctionnement fort opaque, très directif, des méthodes radicales, des décisions qui tombent comme des couperets. Et le pouvoir de transformer des vies en cauchemar.

Les Urssaf constituent un véritable État dans l’État. Nombreux sont les chefs d’entreprise qui craignent plus l’« appareil répressif » des Urssaf que celui du fisc. Elles récoltent plus de 500 milliards d’euros chaque année, soit environ 190 milliards de plus que le budget de l’État français. Leur mission est dans leur nom, « unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales ».

Au fil du temps, leur champ d’action s’est considérablement élargi. Recouvrement, à partir de septembre 2021, des cotisations jusqu’alors encaissées par la Sécurité sociale des indépendants (le RSI), soit 15,8 milliards d’euros ; récolte des fonds de la formation, soit 10 milliards, et de la Sécurité sociale des artistes auteurs ; idem pour la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), auparavant perçue par la Caisse nationale déléguée pour la sécurité sociale des travailleurs indépendants. Les Urssaf recouvrent aussi l’argent de l’assurance-chômage, du fonds national d’aide au logement, du fonds de solidarité vieillesse, de la Puma (protection universelle maladie, ex-CMU). Et bientôt, donc, des caisses de retraite complémentaire du privé…

« Les Urssaf constituent un véritable État dans l’État. Nombreux sont les chefs d’entreprise qui craignent plus l’« appareil répressif » des Urssaf que celui du fisc »

D’après la présentation officielle, les Urssaf ont la noble mission de se mettre « au service de l’entreprise et de l’emploi ». Dans la réalité, non seulement les Urssaf encaissent les sommes dues, mais elles vérifient avec des méthodes féroces que personne ne leur échappe. L’objectif premier de leurs 1 550 inspecteurs est de « faire du chiffre ». Ils sont très actifs : en une décennie, ces inspecteurs ont effectué 3 fois plus de contrôles que le fisc et multiplié par 9 le nombre de redressements. Selon leurs communiqués, 9 contrôles sur 10 menés dans les entreprises de moins de 250 salariés donnent lieu à des sanctions pécuniaires. C’est-à-dire que 90 % des PME inspectées doivent payer (pour en savoir plus, il faut lire l’excellente enquête réalisée par Nicolas Delecourt et François Taquet, Urssaf. Un cancer français, aux Éditions du Rocher).

Dans 9 cas sur 10, les patrons de PME contrôlés seraient donc en faute ? C’est difficile à croire. Et l’on a des raisons de se dire très sceptique, d’autant que la Cour des comptes elle-même se montre fort critique dans ses observations à l’égard des Urssaf. « Litiges », « incertitudes », « désaccords », « insuffisances », tels sont les mots que, depuis 2019, la cour emploie dans ses rapports annuels. Dans le dernier en date, la Cour des comptes refuse même de certifier les comptes 2021 de l’activité de recouvrement du réseau des Urssaf. Le grief principal : « le refus des Urssaf de se plier à une exigence de la Cour des comptes pour assurer, malgré les difficultés, un minimum de comparabilité entre les exercices 2021 et 2020 ».

Dans ces conditions, comment l’État peut-il oser transférer des comptes de l’Agirc-Arrco (gérés par les partenaires sociaux et correctement certifiés, eux !) aux Urssaf, incapables, depuis plusieurs années, de retracer leur activité de manière fiable ?

Le risque est bien réel de faire basculer le recouvrement des cotisations des complémentaires du privé dans l’anarchie. Notre État ne brille pas par ses aptitudes de gestionnaire, c’est aveuglant, par exemple dans son incapacité à combler les déficits et la dette publique. Dans son incapacité, aussi, à gérer la retraite de ses fonctionnaires, qui n’ont même pas de caisse (rappelons ce fait, dont peu sont conscients : ce sont tous les contribuables qui paient les retraites des fonctionnaires, et la retenue sur leur fiche de paie est fictive). Voilà qui nous promet des pelotes inextricables d’erreurs et d’aberrations lorsque les Urssaf seront en charge du recouvrement des cotisations de retraites destinées à l’Agirc et à l’Arrco.

Les caisses de retraite complémentaire du privé, qui ont correctement rempli leur mission, disposent aujourd’hui d’environ 62 milliards d’euros de réserves. Et les cotisations représentent 80 milliards d’euros par an. Il n’y a aucune raison pour que ce pactole soit versé dans les égouts comptables d’une entité aussi douée pour faire rendre gorge aux autres que nulle pour justifier son propre fonctionnement auprès des autorités compétentes.

Confier aux Urssaf le recouvrement des cotisations de retraite complémentaire du privé, c’est leur permettre de siphonner ces caisses. Comme l’ont souligné les syndicats et les représentants des employeurs qui gèrent l’Agirc-Arrco, cette décision revient à étatiser les retraites complémentaires du privé dont dépendent 13 millions de retraités. Il faut tout faire pour s’y opposer, afin de sauver ce qui peut encore l’être.

Article Le Figaro du 7 novembre 2022

Article publié le 10 novembre 2022.


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