vous êtes ici : accueil > Divers

Plainte des syndicats contre le «  bradage  » de l’électricité d’EDF

Quatre fédérations veulent dénoncer une aide d’Etat illégale au profit de la concurrence

Après une journée de grève très suivie fin janvier contre«  le saccage du service public  », les quatre fédérations syndicales représentatives de l’énergie entendent porter leur contestation devant la ­Commission européenne. Dans un communiqué transmis au Monde, CGT, CFE-CGC, CFDT et FO annoncent leur intention de déposer une plainte dans les jours à venir, possiblement dès lundi 14 mars, pour aide d’Etat illégale au profit des concurrents d’EDF. Une plainte à laquelle les salariés actionnaires de l’électricien entendent s’associer.

Tout en dénonçant les effets de la libéralisation imposée en Europe, les syndicats comptent cette fois tourner à leur avantage un principe sacro-saint de la Commission européenne. Celui de traquer toute aide publique de nature à fausser la concurrence du marché commun. Ils veulent demander à Bruxelles d’«  ouvrir une procédure d’examen formelle à l’encontre du gouvernement français  », de «  suspendre  » les aides annoncées par l’Etat dès janvier (mais sans décret ou arrêté jusqu’à présent), et de soutenir les futurs recours «  devant les juridictions françaises  ».

Afin de tenir sa promesse de limiter à 4 % (au lieu de 44 % hors taxe), en février, la hausse des tarifs réglementés d’électricité pour les ménages et des entreprises, l’Etat a décidé de contraindre EDF, dont il est l’actionnaire majoritaire, à venir au secours… de la concurrence. La mesure porte sur le «  tarif bleu  » de l’électricien, auquel sont abonnés une majorité des ménages, et à partir duquel s’indexent les tarifs de la concurrence.

Profiter sans produire

Depuis une loi de 2010, EDF a déjà obligation de céder à prix fixe à la concurrence une partie de sa production nucléaire. C’est le principe de l’Arenh, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, contesté non seulement par les salariés mais aussi par la direction d’EDF. Il permet à une quarantaine de fournisseurs alternatifs, dont TotalEnergies, de profiter du fournisseur historique sans avoir besoin de produire quoi que ce soit. Pour l’année en cours, le gouvernement veut relever le plafond, pour le faire passer de 100 à 120 térawattheures (TWh). L’électricien sera donc contraint de «  brader  » entre 38 % et 41 % de son nucléaire, puisque EDF prévoit une production française pour l’année en cours entre 295 et 315 TWh – niveau historiquement faible depuis trois décennies, notamment en raison de réacteurs à l’arrêt pour maintenance ou problèmes.

A partir d’avril, les 20 TWh supplémentaires seront en principe vendus à la concurrence pour 46,20 euros le mégawattheure. C’est un peu plus que le prix initial de 42 euros pour les 100 premiers TWh. Mais c’est sans commune mesure avec les prix parfois six à sept fois plus élevés du marché «  spot  », celui du jour au lendemain, sur lequel les fournisseurs alternatifs s’approvisionnent autrement.

Les salariés d’EDF estiment travailler pour la concurrence, sans avoir, par ailleurs, l’assurance que ce relèvement de l’Arenh bénéficiera réellement aux consommateurs. En janvier, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, avait déclaré qu’il demanderait un contrôle à la Commission de régulation de l’énergie.

«  Choc énergétique  »

Depuis 2019, la loi énergie-climat autorise un relèvement potentiel de l’Arenh jusqu’à 150 TWh. L’intersyndicale considère que ce relèvement constitue une modification substantielle d’un régime d’aides. Or «  cette décision n’a pas fait l’objet d’une notification préalable à la Commission européenne  », affirme-t-elle, contrairement à ce qu’impose l’article 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Contacté par Le Monde, le ministère français de l’économie indique simplement «  ne pas [partager] l’analyse juridique des syndicats sur la mesure de relèvement de plafond Arenh et sur la loi de 2019  ». Tout en rappelant que, sans intervention de l’Etat, les tarifs réglementés auraient bondi de plus de 40 % (hors taxe) «  en plein choc énergétique à cause des prix de marché  ».

La direction de l’entreprise pourrait également engager des actions contre la mesure de l’Etat. Selon ses projections de janvier, le relèvement de l’Arenh représentera au moins une perte d’environ 8 milliards d’euros sur son futur excédent brut d’exploitation pour 2022 – presque la moitié par rapport à celui de 2021 (18 milliards d’euros). Le groupe a en effet dû racheter au prix fort son électricité déjà vendue cet hiver sur les marchés… pour s’apprêter à la «  brader  », en avril, à la concurrence. L’action de l’entreprise en Bourse a aussi dégringolé  : moins 33 % par rapport à novembre 2021.

«  Pour autant, les organisations syndicales et les actionnaires salariés sont évidemment conscients des difficultés auxquelles se heurtent les ménages et les entreprises face à la flambée des prix  », insiste leur communiqué. Outre des aides spécifiques aux industries électro-intensives, le collectif réitère sa revendication de baisser la TVA sur l’électricité de 20 % à 5,5 % – le taux pour les biens de première nécessité. Une éventualité à laquelle le ministère de l’économie et des finances s’est déjà déclaré défavorable, estimant qu’elle serait insuffisante pour couvrir l’envolée des prix de l’énergie depuis l’été 2021.

Article Le Monde du 14 mars 2022

Article publié le 14 mars 2022.


Politique de confidentialité. Site réalisé en interne et propulsé par SPIP.