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Quand le télétravail renforce les addictions

Danger Les confinements et l’isolement ont accru la consommation de tabac, d’alcool et les achats compulsifs chez les salariés dépendants. Des médecins forment les manageurs à détecter les signaux d’alerte.

« Le télétravail est un ­danger absolu pour les salariés addicts à un produit. » Patrick, sobre depuis près de deux ans, témoigne aujourd’hui pour sensibiliser employeurs et employés au risque que représente l’isolement pour une personne déjà dépendante.

Dépendant à l’alcool avant la pandémie, il a sombré ­pendant le premier confinement, début 2020. « J’avais une visio à 8 heures, j’ai déjà eu du mal à la suivre. J’ai raté celle de 11 heures, je faisais la sieste, et celle de 15 heures, car je m’étais encore alcoolisé entre les deux », raconte celui qui a remonté la pente grâce à la main tendue trois ans ­auparavant par son supérieur hiérarchique. « Mon patron était venu me parler. Je lui avais répondu : non, je ne picole pas. Je lui mentais, poursuit-il. L’alcoolique est un stratège. Il boit le matin et le soir. C’est le seul qui ne prend que de l’eau le midi avec les collègues. Il est dans le déni. Mais si on vient lui parler de façon bienveillante, juste pour lui dire qu’on est là pour lui, pour l’aider, sans jugement, ça allume une petite lumière qui peut le faire réagir, tôt ou tard. »

Près de 7 salariés dépendants à un produit sur 10 ont vécu une période de rechute au début du confinement, selon l’étude réalisée par Odoxa en avril 2020 avec le constat pratique du cabinet GAE Conseil, spécialisé dans la prévention des addictions en milieu professionnel. « Avant 2020, le profil type du salarié suivi en accompagnement était un homme, 50 ans, non-cadre, dans le secteur des transports ou du BTP, indique Alexis Peschard, addictologue et président de GAE Conseil. Depuis, on reçoit davantage de femmes (25 % contre 1 % avant 2020), autour de 40-45 ans, plutôt cadre, avec une profession tertiaire et en télétravail. »

L’ultra connexion peut cacher d’autres excès

Généralement sollicité pour des problématiques de produits (alcool, tabac, médicaments…), le cabinet GAE Conseil constate que le télétravail a aussi accru l’ultra connexion aux écrans. Une attitude qui peut parfois révéler des comportements excessifs plus particuliers, comme les jeux d’argent et les achats compulsifs. Il cite le cas d’un cadre, avec 10 000 € de revenus, qui dépensait son salaire en jeux de hasard, et se retrouvait à découvert au milieu du mois. Ce type d’excès peut apparaître quand le surendettement du salarié déclenche la commission sociale de l’entreprise, qui découvre derrière une addiction comportementale, et sollicite GAE conseil.

Alice Denoize, tabacologue, a reçu des salariés qui ont fumé davantage pendant les confinements puis en poursuivant le télétravail, et la consultent pour arrêter. D’autres ont repris après une longue période d’abstinence. « J’ai aussi des patients qui fument moins qu’au bureau, parce qu’ils ne sont plus influencés par les collègues, et ne font plus de pause cigarettes, constate-t-elle. Mais souvent, ceux-là sont dans des tunnels de travail et dans un état d’épuisement ».

La professionnelle souligne les écueils du télétravail. Elle cite « l’isolement et la perte de lien social qui génèrent un besoin de compenser par un produit (alcool, tabac, cannabis, médicament) » ; « le stress alimenté par les mails tardifs », ou encore « les demandes de travail le week-end ». « La boisson ou la cigarette devient une béquille et un compagnon », explique Alice Denoize. Et l’interdit du tabac en intérieur est tombé chez les célibataires qui travaillent chez eux. « J’ai vu des personnes fumer en entretien à distance avec moi, elles ne l’auraient jamais fait en face-à-face », constate-t-elle.

Comment détecter les signaux

« Le télétravail a rendu la situation plus aiguë. Des salariés ont été repérés parce qu’ils se sont présentés en visio en état d’ébriété, ou qu’ils n’allumaient pas la caméra et le son de leur voix témoignait qu’ils n’étaient pas dans leur état normal », rapporte Alexis Peschard, sollicité par les employeurs dès 2020 pour accompagner des salariés avec des pratiques à risque. « En 2021, les entreprises et leurs DRH ont compris qu’elles devaient agir, non plus sur des situations individuelles, mais sur l’organisation de l’entreprise, pour prévenir les risques liés au travail à domicile, préconiser les bonnes pratiques, former les manageurs, constate-t-il. Et depuis 2022, ils ont une nouvelle réflexion sur le travail hybride, les rythmes de travail et leurs conséquences sur les dépendances. »

GAE Conseil forme à la détection des situations à risque. « On ne demande pas aux DRH d’aller espionner les salariés, explique Alexis Peschard. On parle plutôt de vigilance partagée. Il faut essayer de repérer les signaux faibles, les changements dans le comportement : qu’est-ce qui a changé dans la façon de travailler d’un collaborateur, est-ce qu’il est en retard, ou au contraire, travaille-t-il davantage ? On s’appuie sur des remarques concrètes, car le manageur ou le collègue n’est pas médecin. Il doit se sentir légitime pour aborder le sujet et dire à la personne : Qu’est-ce qui se passe pour toi en ce moment, en quoi puis-je t’aider ? Il n’y a pas de bon ou mauvais moment pour poser la question. Plus tôt on aborde le sujet, mieux ce sera. »

Article Le Parisien du 22 mars 2022

Article publié le 25 mars 2022.


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