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RETRAITES COMPLÉMENTAIRES De l’or noir plein les cheveux gris

L’Agirc-Arrco, principale caisse du pays, place les cotisations des Français en Bourse dans des secteurs émetteurs de gaz à effet de serre. Sous pression, l’institution fait mine d’agir sans vraiment changer de cap.

La question du financement de notre système de retraite se focalise aujourd’hui sur la durée de cotisation et du report à 65 ans de l’âge légal de départ voulu par Emmanuel Macron. Mais alors que le débat hautement inflammable sur la réforme des retraites va faire son retour à l’agenda politique, rares sont ceux qui s’interrogent sur la manière dont sont financées nos pensions par la principale caisse complémentaire du régime général, l’Agirc-Arrco. Le problème pourrait se résumer par le paradoxe suivant : le financement des retraites des salariés français dépend aussi en large partie du niveau de performances financières de multinationales du pétrole et du gaz comme TotalEnergies et Engie, dont les émissions de gaz à effet de serre contribuent à l’accélération du dérèglement climatique qui menace la planète et notre survie.

Une enquête menée par Libération a permis d’obtenir la liste des placements boursiers des principales institutions de retraite en France. La plus importante est donc l’Agirc-Arrco, caisse complémentaire obligatoire à laquelle cotisent 25 millions de salariés de l’industrie, du commerce, des services ou de l’agriculture, et qui verse chaque année des retraites à 13 millions de personnes. En moyenne, un tiers de la pension des affiliés au régime est payé par l’Agirc-Arrco, le reste provenant de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Cet organisme, remplissant une « mission d’intérêt général », collecte également les cotisations d’1,7 million d’entreprises dans le pays. Au total, l’Agirc-Arrco gère un trésor de plus de 68 milliards d’euros. Pour le faire fructifier, mais surtout maintenir ce pactole malgré le vieillissement de la population, l’institution le place sur les marchés financiers, avec l’aide de fonds de gestion dédiés. Quelles actions et obligations sont achetées avec les cotisations de Français ? Au siège de l’organisme, situé rue Jules-César à Paris (XIIe arrondissement), on n’a pas vraiment l’habitude de répondre à cette question, pourtant centrale du point de vue de la responsabilité sociale et environnementale. Il a fallu plusieurs mois et de nombreuses relances pour obtenir une liste de ces placements, des dizaines de pages remplies de codes et données financières que nous avons en partie décryptées en zoomant sur les placements dits « ISR » (Investissement socialement responsable), un label créé en 2016 par le ministère de l’Economie.

Selon le rapport sur la gestion ISR du régime Agirc-Arrco au 31 décembre 2021, près de 95 % des fonds « prenaient en compte les critères ESG », acronyme pour « environnementaux, sociaux et de gouvernance ». Des placements particulièrement vertueux, suppose-t-on à la lecture des critères d’attribution de ce label, réservé aux « entreprises qui contribuent au développement durable ». Et pourtant, le rapport ISR note que « les dix premiers émetteurs de gaz à effet de serre représentent 51 % des émissions totales » du portefeuille d’actions de l’Agirc-Arrco. Des entreprises opérant principalement dans le secteur des matières premières et de la production d’énergie (qui ne sont pas désignées nommément dans ce document). Ce constat est confirmé par une analyse des fonds détenus par le régime au 31 décembre 2021, que Libération a pu consulter.

Portefeuille rempli de fossiles

Ainsi, malgré des promesses d’exclusion des entreprises liées au charbon, on trouve au moins 20 sociétés impliquées dans son exploitation, selon un décompte réalisé à partir des travaux de l’ONG Urgewald, une association qui étudie l’impact des entreprises charbonnières sur les émissions de gaz à effet de serre à l’origine du changement climatique dans le rapport annuel Global Coal Exit List. « L’exposition du régime Agirc-Arrco sur le charbon ressort à moins de 0,5 % du portefeuille global », note le rapport ISR. La caisse de retraite a par exemple investi dans Enel, producteur d’énergie italien, dont une partie de la production vient du charbon. On trouve également dans ses placements la française Albioma (ancienne Société industrielle pour le développement de l’énergie charbon), qui a prévu de sortir de ce combustible dans les outre-mers en 2025 pour le remplacer par de la biomasse, ou encore Duke Energy, un producteur d’énergie américain qui exploite plusieurs centrales carburant aux énergies fossiles. Les entreprises du gaz et du pétrole, comme TotalEnergies, Engie, Exxon Mobil ou Chevron figurent également en bonne place dans le portefeuille du régime complémentaire. En outre, au moins 113 millions de dollars d’actions et d’obligations détenues par l’Agirc-Arrco financent des grands constructeurs automobiles : Daimler, Ferrari, Renault, Volkswagen, ou encore BMW.

Pourtant, la caisse de retraite a adopté une charte, en juin 2019, dans laquelle elle s’engage à mettre en place une politique d’investissement plus durable, selon trois axes : l’intégration des critères ISR dans les portefeuilles, l’exclusion d’entreprises ne respectant pas les normes internationales comme la convention d’Oslo sur les armes à sous-munitions, et enfin une politique active de vote aux assemblées générales.

Métaux lourds et déchets radioactifs

Mais une partie de ces vertueux objectifs mis en avant par l’Agirc-Arrco ne semblent être que des vœux pieux. D’abord parce que ces critères ISR sont établis selon une méthodologie peu exigeante, qui consiste à valoriser les sociétés qui progressent sur un plan environnemental et social, sans pour autant qu’elles soient des modèles de vertu. Un exemple particulièrement explicite : celui d’Umicore, ancienne société minière belge rhabillée en star de la finance durable après avoir réorienté son activité sur le recyclage de métaux et la fabrication de cellules solaires et de batteries rechargeables, qui figure dans le portefeuille de l’Agirc-Arrco.

Selon les agences de notation extra-financière, qui distribuent des bons points aux entreprises et leur permettent d’obtenir un label tel que l’ISR, Umicore est donc fort bien notée. Le problème, c’est qu’elle possède encore aujourd’hui la plus grande décharge à ciel ouvert de déchets radioactifs à Olen, en Belgique. Et qu’elle a laissé des tonnes de poussière de plomb, mercure et cadmium, des matières hautement toxiques, au cœur des Cévennes. Ces dernières ont contaminé toute la région d’Anduze (Gard), empoisonnant la vie et la santé de ses habitants, qui se mobilisent depuis des années pour que la société dépollue le site. En vain : alors qu’elle encaisse toujours plus de bénéfices, Umicore ne semble toujours pas décidée à nettoyer la zone.

Concernant l’exclusion des entreprises les plus controversées, là non plus tout n’est pas rose. L’Agirc-Arrco détient au moins 36 millions de dollars en actions et obligations des groupes Airbus, Thales ou Safran, pourtant exclus par les caisses de retraite en Norvège et au Danemark pour leur implication dans la fabrication d’armes nucléaires. Enfin, l’Agirc-Arrco dit militer, en tant qu’actionnaire, lors des assemblées générales, afin de pousser les entreprises à réduire leurs émissions carbone.

Manque de transparence

François-Xavier Selleret, directeur général de l’Agirc-Arrco, assume la politique d’investissement de l’institution, qu’il décrit comme « pragmatique et responsable ». « Pour les partenaires sociaux qui pilotent le régime de retraite, il est nécessaire de continuer à financer une entreprise qui a besoin de fonds pour réussir sa transition énergétique, et ce afin de sécuriser les emplois de demain », explique-t-il. Le fait est que TotalEnergies n’a pas vraiment besoin d’aide pour se financer : en 2021, le géant pétrolier français a dégagé 13,5 milliards de profits et ses bénéfices devraient encore s’envoler cette année avec la crise énergétique… Mais impossible de se fâcher avec une grande entreprise comme Total qui cotise à l’Agirc-Arrco - spécificité du régime paritaire. « Ces sociétés contribuent par les emplois qu’elles créent, à la pérennité du régime de retraite par répartition », explique François-Xavier Selleret. Ce haut fonctionnaire venu de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), dirige depuis sept ans l’Agirc-Arrco et a notamment été conseiller de Xavier Bertrand lorsqu’il était ministre de la Santé. « Notre responsabilité, c’est de garantir le paiement de vos retraites complémentaires, celles de vos enfants et de vos petits-enfants, assure-t-il. Et pour cela, nous devons accompagner les entreprises françaises dans leur développement et non pas les exclure ou les punir. »

Les décisions de l’Agirc-Arrco sont prises par son conseil d’administration paritaire où siègent syndicats et représentants des patrons, sans que le gouvernement n’ait son mot à dire, comme le rappelle un rapport de la Cour des comptes paru en 2020, qui étrille par ailleurs son manque de transparence et la complexité de son organisation. La « gestion des réserves » devrait être plus « centralisée, ce qui permettrait de mettre en œuvre des économies d’échelle », estiment les experts de l’institution. D’autres caisses de retraite, pourtant, se montrent plus volontaires sur la question. C’est par exemple le cas de l’Ircantec, qui gère les retraites des élus et des contractuels de la fonction publique. L’organisme a pris il y a un mois une décision forte, en excluant les énergies fossiles de son portefeuille d’ici à 2030, dans une optique de « réduction des émissions de CO2 compatible avec un scénario [d’augmentation des températures de] 1,5 degré ». Douze sociétés sont désormais bannies de ses investissements, à commencer par TotalEnergies.

Article Libération du 19 août 2022

Article publié le 19 août 2022.


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