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Retraites : le Conseil d’État tacle l’exécutif, la sécurité juridique de la réforme en question

Dans son avis sur les projets de loi “Retraites”, le Conseil d’État souligne que “la volonté du gouvernement de disposer de son avis dans un délai de trois semaines ne l’a pas mis à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé”.

L’étude d’impact des projets de loi de réforme des retraites était particulièrement attendue, l’avis du Conseil d’État, peut-être un peu moins. C’est finalement le second document qui a créé la plus grande surprise. Publié dans la foulée de la présentation des textes en Conseil des ministres, vendredi 24 janvier, l’avis du Conseil d’État est en effet très critique à l’égard du gouvernement Philippe, sur la forme particulièrement .

Au total, le Palais-Royal n’a disposé que d’une vingtaine de jours pour examiner les projets de loi (organique et ordinaire) instituant un système universel de retraites. Ces textes, dont il a été saisi le 3 janvier, ont ensuite fait l’objet de 6 saisines rectificatives (les 9, 10, 13, 14 et 16 janvier) par le gouvernement.

Eu égard à ce calendrier, le Conseil d’État souligne que “la volonté du gouvernement de disposer de son avis dans un délai de trois semaines ne l’a pas mis à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé”. Une situation “d’autant plus regrettable”, ajoute l’avis, que les projets de loi “procèdent à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat social”.

Étude d’impact “ insuffisante” et ordonnances trop nombreuses

L’avis du Conseil d’État n’épargne pas non plus l’étude d’impact des projets de loi fournie par le gouvernement. L’étude initiale “est apparue”, pour certaines dispositions, “insuffisante” et la deuxième mouture, transmise par l’exécutif le 15 janvier, comporte des projections financières de la mise en œuvre de la réforme toujours “lacunaires”.

Autre tacle du Palais-Royal : le nombre de recours aux ordonnances prévues par les textes. Les projets de loi comportent en effet des dispositions habilitant le gouvernement à prendre 29 ordonnances, portant notamment sur la définition de dérogations à l’intérieur du système universel de retraite, la définition de régimes d’invalidité, d’inaptitude ou de pénibilité corollaires des nouvelles dispositions régissant les droits à pension, la gouvernance du nouveau système de retraites ou encore les conditions d’entrée en vigueur de la réforme.

“Le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité”, estime le Conseil d’État.

Objectif du gouvernement : convaincre le Conseil constitutionnel

“Je comprends la frustration du Conseil d’État de ne pas avoir l’entièreté des mesures. Pour autant, c‘est un choix assumé du gouvernement que d’écrire [le texte de la réforme, ndlr] au fur et à mesure que les concertations aboutissent”, a réagi la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, dimanche 26 janvier au Grand Jury de RTL/Le Figaro/LCI.

“J’aurais préféré évidemment un autre avis du Conseil d’État”, a-t-elle ajouté en espérant que le gouvernement puisse “convaincre le Conseil constitutionnel, à l’issue du débat parlementaire et de l’enrichissement parlementaire de la loi qu’il s’agit bien d’un système universel et équitable”.

Reste que le gouvernement prend le risque de laisser jaillir des difficultés constitutionnelles lors de l’examen parlementaires des textes ou à son issue, lorsque le Conseil constitutionnel sera saisi, estime le spécialiste du droit constitutionnel Didier Maus.

Risques de procédure

“Tout le monde aura l’avis du Conseil d’État en permanence dans la tête, estime-t-il en citant notamment le cas de l’opposition parlementaire. Il n’y a pas de risque zéro en matière constitutionnelle et du point de vue juridique, le risque existe sur ce texte, mais il reste difficile de le mesurer”. Le fait que le Palais-Royal dise ne pas garantir la “sécurité juridique” de la réforme est “une formulation rare et très exceptionnelle”, poursuit-t-il.

Ce spécialiste pointe notamment un risque de procédure avec la problématique de l’âge pivot : “Est-ce que l’on peut admettre qu’un élément essentiel en termes de financement ne soit pas mis dans le projet de loi, mais décidé en fin de parcours après négociation avec les partenaires sociaux ? Le débat doit être sincère et le Parlement éclairé.”

Charge désormais aux députés d’examiner les projets de loi de réforme des retraites. Le tout dans un calendrier ultraserré. Dès le 3 février, ils examineront ces textes en commission spéciale. Ils ont jusqu’au 30 janvier pour déposer leurs amendements sur le projet de loi ordinaire et jusqu’au 31 janvier sur le projet de loi organique. L’examen en séance publique débutera quant à lui le 17 février.

Revalorisation des enseignants : le renvoi à des lois de programmation jugé anticonstitutionnel
Dans son avis, le Conseil d’État a écarté les dispositions du projet de loi ordinaire qui renvoient à des lois de programmation la définition de mécanismes permettant de garantir aux personnels enseignants et chercheurs ayant la qualité de fonctionnaires une revalorisation de leur rémunération afin de leur assurer un niveau de pension équivalent à celui de fonctionnaires appartenant à des corps comparables. “Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions constituent une injonction au gouvernement de déposer un projet de loi et sont ainsi contraires à la Constitution”, indique la juridiction sur la base d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel datée du 22 janvier 1990 (décision n° 89-269). En dépit de cet avis, le gouvernement a décidé de maintenir ces dispositions dans le projet de loi. “C’est un avis que nous ne partageons pas, ce qui compte c’est l’engagement de revalorisation du gouvernement”, a indiqué le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt, sur BFM Business lundi 27 janvier. “La disposition sautera, affirme quant à lui Didier Maus. Mais ce n’est pas un problème : le gouvernement maintiendra son engagement à revaloriser les enseignants et chercheurs.”

Article Acteurs Publics du 27 janvier 2020

Article publié le 29 janvier 2020.


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