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Le rapport Ravignon remet en cause la séparation ordonnateur-comptable pour générer des économies

Dans son rapport sur le mille-feuille administratif, la mission Ravignon pointe les “contraintes” et les “coûts élevés” engendrés par le principe de séparation entre l’ordonnateur et le comptable. Elle avance une série d’options de réformes “allant jusqu’à l’autonomie financière et comptable des collectivités”. Une logique d’économies vivement critiquée par les syndicats de la DGFIP.

Faut-il en finir avec la fameuse séparation ordonnateur-comptable dans la sphère locale pour faire des économies ? C’est la piste explosive que suggère la mission de Boris Ravignon dans le rapport qu’elle vient de remettre à l’exécutif sur le coût des normes et du mille-feuille administratif. Un rapport où elle évalue à 7,5 milliards d’euros le coût de l’enchevêtrement des compétences entre l’État et les collectivités ainsi qu’entre les collectivités elles-mêmes. 

Le maire de Charleville-Mézières y pointe ainsi notamment les “coûts” et les “contraintes” liés à la comptabilité publique qui, selon lui, “peuvent être significativement réduits pour les collectivités et l’État”. L’occasion pour l’élu local de s’attaquer à ce principe angulaire de la gestion des finances publiques locales qu’est la séparation de l’ordonnateur et du comptable.
Selon ce principe, pour rappel, l’ordonnateur ou ses services, à savoir les collectivités et les élus locaux, ne peuvent assurer eux-mêmes le paiement de leurs dépenses ou le recouvrement des recettes locales. Ces “ordonnateurs” n’ont ainsi pas le droit de manipuler l’argent public, puisque seul les comptables publics, qui dépendent de la direction générale des finances publiques (DGFIP), peuvent le faire. Une organisation qui est censée garantir la qualité des comptes des collectivités et éviter les détournements de fonds publics. 

1,3 milliard d’euros à la charge de l’État
Selon Boris Ravignon, cette séparation entre l’ordonnateur et le comptable, ainsi que les procédures rendues nécessaires par ce principe, “demeurent et emportent des coûts élevés pour l’État et les collectivités”. Une dépense estimée à 1,8 milliard d’euros au total, dont 1,3 milliard pour l’État via les missions prises en charge par la DGFIP et ses directions régionales et départementales, les DRFIP et DDFIP, et 0,5 milliard pour les collectivités. 
Concernant le volet “dépenses”, la mission Ravignon pointe ainsi des contrôles “en doublon” par le comptable public par rapport aux contrôles effectués par l’ordonnateur. “Même si le contrôle hiérarchisé de la dépense en vigueur aujourd’hui à la DGFIP n’organise plus un contrôle exhaustif que sur les opérations les plus complexes, les vérifications opérées sont les mêmes que celles déjà accomplies par les services des collectivités”, explique-t-elle notamment. 
“Plus globalement, développe la mission, l’existence d’un contrôle a priori réputé exhaustif des dépenses peut avoir un effet déresponsabilisant sur les services financiers des ordonnateurs, qui peuvent avoir l’illusion qu’une erreur de leur part sera, soit détectée, soit validée par les contrôles du comptable.” 

Autonomisation des ordonnateurs inachevée 
Quant au volet “recettes”, la séparation ordonnateur-comptable génère, selon la mission, des délais dans le recouvrement des impayés “qui peuvent in fine se révéler générateurs de pertes de recettes” et une “désincitation pour les collectivités à moderniser le service public et notamment à développer des outils de paiement dématérialisés”. 

Boris Ravignon reconnaît toutefois que “plusieurs réformes récentes ont atténué la portée du principe de séparation entre ordonnateurs et comptables”. L’occasion pour ce dernier de citer la récente unification du régime de responsabilité financière des gestionnaires publics ou la généralisation à venir du compte financier unique (qui regroupe le compte administratif de l’ordonnateur et le compte de gestion du comptable). Il mentionne aussi l’expérimentation de la certification des comptes ou encore le rapprochement entre les services de l’ordonnateur et du comptable au travers de centres de services partagés, comme les services facturiers, “même s’il en existe moins d’une trentaine à ce jour”. 

Pour la mission Ravignon, il faudrait aller encore plus loin, notamment dans une logique d’économies. “Les réformes engagées sont allées dans le sens d’une plus grande autonomie des ordonnateurs sans toutefois achever le processus engagé”, estime-t-elle. Et de relever que les évolutions des effectifs au sein des services des finances publiques “ont largement pris acte de ces réformes”, les effectifs consacrés à la tenue des comptabilités locales ayant en effet diminué de 44 % entre 2009 et 2022. 

“Évoluer vers un contrôle a posteriori” 
Aux yeux de Boris Ravignon, une réforme est “aujourd’hui possible avec une gradation d’options” allant même “jusqu’à l’autonomie financière et comptable des collectivités”. Objectif affiché par l’élu local : “améliorer l’efficience du circuit de la dépense et de la tenue des comptabilités en supprimant les contrôles parallèles et en doublon”. Selon le scénario imaginé par la mission, cette réforme porterait “stricto sensu” sur les agents de la DGFIP en charge du contrôle et de la tenue des comptes locaux. “La réforme envisagée n’implique pas nécessairement la réduction ou la disparition de la mission de conseil aux décideurs locaux”, tempère le rapport. 

Aux yeux de la mission, l’intervention de la DGFIP pourrait elle-même “évoluer vers un contrôle a posteriori de la dépense et des états financiers”. Ce qui serait “l’équivalent financier” de la suppression de la tutelle des préfets sur les actes des collectivités décidée à l’occasion de la première loi de décentralisation de 1982. “La chaîne de la dépense serait ainsi simplifiée, fondée sur une logique de confiance faite aux ordonnateurs jusqu’au paiement et un contrôle interviendrait a posteriori par les services de la DGFIP pour s’assurer du bon respect des normes comptables et de l’existence de contrôles internes adaptés”, précise la mission. 

Selon cette dernière, par ailleurs, ces nouveaux processus “pourraient être organisés au sein d’une agence comptable”. Laquelle agence serait créée par l’ordonnateur au sein de ses services avec, à sa tête, un agent comptable de la DGFIP. La mise en place de telles agences avait déjà été évoquée en 2019 par l’exécutif, mais l’expérimentation avait finalement été abandonnée en raison du faible nombre de projets initiés par les collectivités, mais aussi des inquiétudes des agents et des comptables, qui y voyaient une pure et simple disparition du comptable public. 

Expérimentation et progressivité
“Cette option correspondrait probablement mieux à de grandes collectivités, explique la mission Ravignon. Cependant, il peut aussi être imaginé qu’elle s’applique à des services financiers intercommunaux mutualisant les besoins en gestion financière et comptable de communes de petite taille.” 
Pour Boris Ravignon, en tout cas, cette “autonomie financière et comptable” des collectivités serait “réalisable sans généraliser la certification de leurs comptes”. Si cette expérimentation de certification “permet de garantir la fiabilité des comptes des collectivités”, cette démarche “constitue une procédure exigeante qui peut paraître disproportionnée pour les budgets de petites collectivités”, explique-t-il, plaidant pour une certification obligatoire uniquement pour les plus grandes collectivités. 

La mission Ravignon prévient néanmoins : la réforme qu’elle préconise ne pourra se faire du jour au lendemain. Elle plaide ainsi pour une expérimentation qui, à ses yeux, “serait utile afin de permettre un juste partage des gains de la réforme entre l’État et les collectivités”. L’analyse fournie par la mission fait en effet état d’un “déséquilibre probable” de la réforme aujourd’hui entre des “gains probables pour la DGFIP et l’État” et des “gains plus limités mais aussi des coûts initiaux et récurrents pour les collectivités”. 

Levée de boucliers des syndicats de Bercy 
Comme il fallait s’y attendre, les syndicats des finances publiques critiquent vivement cette remise en cause du principe de séparation entre l’ordonnateur et le comptable et la proposition d’une autonomie financière et comptable des collectivités. “Encore une fois, les missions de la DGFIP sont considérées comme un coût sans égard pour les agents qui réalisent le travail, tonne ainsi Raphaël Dupenloux, de l’Unsa DGFIP. La mission Ravignon semble vouloir proposer une réforme pour la réforme en elle-même avec des gains qui semblent peu évidents pour les collectivités et l’État. On voit bien que les emplois à la DGFIP sont encore une fois une variable d’ajustement budgétaire.” 
“Ce principe de séparation entre l’ordonnateur et le comptable n’est pas une survivance poussiéreuse, une coquetterie de droit administratif ou un épouvantail corporatiste, abonde Olivier Brunelle, de FO DGFIP. Il s’agit d’un principe de droit public qui vise d’abord à offrir des garanties aux citoyens sur la bonne gestion des deniers publics et qui poursuit un double objectif de contrôle et de probité.” “Que des coordinations renforcées soient souhaitables, c’est possible. Que de nouveaux aménagements soient imaginés, c’est probable. Qu’une réforme soit possible est une autre affaire, ajoute le syndicaliste. Il ne faut toucher à l’organisation financière de l’État qu’avec la main qui tremble tant l’édifice a été fragilisé depuis des décennies par une politique sans équivalent de suppression d’emplois.” 
Selon Solidaires Finances publiques, la proposition de la mission Ravignon de supprimer la séparation ordonnateur-comptable “repose sur une idée simpliste” : “La disparition des contrôles générerait une économie, celle de leurs coûts, mais (le rapport) occulte délibérément les gains qui résultent des erreurs et des malversations évitées grâce à l’existence de ces contrôles par la DGFIP.” Aux yeux de ce syndicat, la généralisation des contrôles a posteriori serait par ailleurs “une vue de l’esprit”. “D’abord parce qu’ils sont les premiers à disparaître quand, faute de temps, d’autres priorités s’imposent, explique Solidaires. Ensuite, parce que certains contrôles, pour être efficaces, ne peuvent être réalisés qu’a priori”. “Il en va notamment ainsi du caractère libératoire du paiement, poursuit le syndicat. Comment s’assurer du retour des fonds quand ils ont été versés à un mauvais destinataire ?”

Article Acteurs Publics du 3 juin 2024

Article publié le 6 juin 2024.


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