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Face à une situation politique inédite, le devoir de réserve des fonctionnaires a volé en éclats

Depuis les résultats des élections européennes, un mouvement semble avoir gagné la fonction publique. Celui qui consiste à dépasser et sortir naturellement du devoir de réserve face à un RN qui n’a jamais été aussi proche des portes du pouvoir. Une rupture administrative.

Alors que la perspective d’une arrivée du RN au pouvoir occupe de plus en plus le débat public, nombreux sont les fonctionnaires et hauts fonctionnaires à être sortis de leur traditionnel devoir de réserve. Fait très rare, les diplomates du quai d’Orsay ont diffusé un tract syndical et signé une pétition collective. "Nous, diplomates, ne pouvons nous résoudre à ce qu’une victoire de l’extrême droite vienne affaiblir la France et l’Europe", peut-on notamment y lire. De la même manière, les cadres de l’Éducation nationale se sont exprimés par le biais d’une pétition dénonçant la possible arrivée de l’extrême droit au pouvoir. Dans le texte, qui a recueilli 2900 signatures, à l’heure où nous écrivons ces lignes, ils affirment notamment qu’ils refuseraient d’obéir à des directives "en opposition avec les valeurs républicaines". Emmanuel Constant, principal de collège à Vincennes (Val-de-Marne), vice-président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis (Parti socialiste) et initiateur de la pétition a même répondu à une interview à BFM TV exposant les cas de figure devant lesquels il n’obéirait pas aux éventuels ordres d’un gouvernement RN, par exemple, s’agissant de vérifier la régularité de la situation administrative des élèves sur le territoire français. Un véritable cap a été franchi.

Un cap a été franchi

De la même manière, les différents collectifs de fonctionnaires ont unanimement dénoncé les risques, pour les services publics, d’une accession du RN au pouvoir. Les élèves fonctionnaires hospitaliers ne sont pas en reste et ont également publié une tribune faisant état des craintes que représenteraient l’arrivée de Jordan Bardella à Matignon dans l’exercice de leurs fonctions et sur les grands principes d’égalité portés par l’hôpital public. Autant de réactions qui ont provoqué la colère des cadres du RN. Certains ont évoqué une possible sanction des fonctionnaires sortis de leur devoir de réserve. De son côté, Marine Le Pen, s’est insurgée dans une interview au quotidien régional le Télégramme, parue cette semaine. "Je passe mes journées à lutter contre les fake news, a dénoncé la présidente du Rassemblement national. On est confrontés à une extrême gauche qui est la spécialiste du sujet. Sans parler des pétitions de fonctionnaires anonymes. On est victime d’une forme de caricature permanente". Le décor est planté et ces pratiques ne sont pas inédites.

A l’occasion de la réforme de la haute fonction publique menée en 2019-2020, déjà, les hauts fonctionnaires opposés à la réforme s’étaient exprimés de manière très libre et notamment autour de la suppression de l’ENA, remplacée aujourd’hui par l’INSP. Une sorte de « laisser faire » avait été observé. Quatre ans plus tard, face au caractère historique de la situation politique née de la dissolution, ce mouvement est-il en train de s’ancrer ? Du côté du gouvernement et de l’administration sollicités par Acteurs publics, l’absence de réponses très précises semble trahir un embarras au-delà des rappels convenus. Au niveau interministériel, on indique n’avoir été saisi d’aucune question particulière sur le sujet de devoir de réserve "qui est bien connu des ministères".

Aucun "rappel à l’ordre" ne semble avoir été communiqué. Contacté par Acteurs publics, le Quai d’Orsay n’a pas réagi à nos sollicitations tandis que le ministère de l’Éducation nationale assure que les éléments autour du devoir de réserve en période électorale sont régulièrement rappelés et de surcroît lorsque des précisions sont demandées par les académies. Une réaction minimaliste aux vues de la polémique qu’a suscité la tribune des diplomates.

Arbitrer entre devoir de réserve et sens du service public

Le ministère rappelle notamment "qu’en raison des élections législatives, qui interviendront les 30 juin et 7 juillet 2024, comme habituellement, les consignes du secrétariat général du gouvernement (SGG) précisent que le haut encadrement de la fonction publique doit selon l’usage, s’abstenir de participer à toute manifestation ou cérémonie publique susceptible de présenter un caractère pré-électoral, soit par les discussions qui pourraient s’y engager, soit en raison de la personnalité des organiseurs ou de leurs invités." Autre rappel nécessaire, "les fonctionnaires sont tenus à une obligation de neutralité dans l’exercice de leurs fonctions ; en dehors, ils conservent un devoir de réserve dont l’étendue dépend notamment de leur niveau hiérarchique." Mais rien n’est précisé sur les actions éventuellement menées après la publication de la tribune, donnant l’impression d’un laisser-faire.

Dans le domaine de la santé aussi, l’expression s’est faite bruyante. En début de semaine, une centaine d’élèves hauts fonctionnaires et fonctionnaires en formation à l’École des hautes études en santé publique (EHESP) ont publié une tribune appelant à "défendre les valeurs du service public hospitalier", dans la perspective des élections législatives "en opposition" aux idées du Rassemblement national. Une publication qui avait donné lieu, en amont, à un échange entre Isabelle Richard, directrice de l’école : "Je regrette profondément que la situation de notre pays soit devenue d’une telle gravité qu’elle conduit un nombre important d’entre nous à devoir arbitrer entre leur devoir de réserve et leur sens du service public", déplore la directrice qui a elle-même co-signé une autre tribune émanant du monde de la recherche médicale appelant à faire barrage au RN.

Face à la situation inédite, la directrice a tout de même insisté auprès de ses élèves fonctionnaires, "sur l’attention que nous devions toutes et tous porter, à ce que l’expression de nos valeurs reste compatible avec la pluralité des sensibilités au sein de l’école et plus généralement de la société", développe-t-elle. Des demandes ont d’ailleurs été exprimées d’un débat plus large autour des devoirs des fonctionnaires et des dilemmes qu’elles et ils pourraient rencontrer.

Article Acteurs Publics du 28 juin 2024

Article publié le 28 juin 2024.


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