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“La rémunération des fonctionnaires doit être davantage liée à leur implication professionnelle”

Marcel Pochard, l’ex-directeur général de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) revient dans cet entretien sur l’intention du président réélu Emmanuel Macron de “rebattre les cartes” de l’organisation des rémunérations des agents publics. L’occasion pour le conseiller d’État honoraire de revenir sur la question de l’intéressement et de la rémunération au mérite que l’équipe Macron souhaite mettre en avant.
Emmanuel Macron a annoncé vouloir rebattre les cartes de l’organisation des rémunérations dans la fonction publique pour ouvrir davantage de perspectives de carrières et des progressions de carrière différenciantes. Le système est-il à bout de souffle ? Quel regard portez-vous sur le système de rémunération actuel dans la fonction publique (catégories,…) ?
Marcel Pochard. La pertinence de notre système de rémunération des agents publics pose effectivement problème. C’est un système intrinsèquement rigide, à raison même de son objet qui est de soumettre tous ces agents à un même régime commun harmonisé, ce qui n’est possible que selon des normes d’encadrement contraignantes, dont le symbole reste la grille indiciaire. La rémunération est de ce fait la résultante de toute une construction juridico-administrative (combinant organisation en corps, garantie de carrière, valeur du point d’indice…), largement déconnectée de la réalité des fonctions réelles exercées et de l’engagement personnel. Difficile dans ce cadre de mettre en œuvre une politique salariale valorisant ces fonctions et cet engagement. Dire que ce système est obsolète ou à bout de souffle ne va pourtant pas de soi. Il a en effet de solides atouts, dont la robustesse qui lui a permis à la fois la durée et l´intégration de multiples ajustements, et la pleine lisibilité par les agents, qui savent en permanence à quoi s’attendre, et disposent d’un minimum de perspectives auxquelles se raccrocher. La question est dès lors de savoir si le système est perfectible, et s’il existe des leviers suffisamment puissants pour le dynamiser. Nous sommes personnellement convaincus que c’est le cas et que notamment la voie des différenciations de carrière, qui serait dans les objectifs du président de la République, est une des plus porteuses. La réforme de la fonction publique réalisée par la loi du 6 août 2019 en pose les bases. Chacun voit bien que le principe de carrières linéaires sur toute une vie professionnelle n’a pas de sens. Quel autre employeur que le public peut garantir de telles carrières ? Et il existe de multiples critères de différenciation qui peuvent être mobilisés (compétences acquises, mutation professionnelle entreprise, engagement déployé…). Il y a là beaucoup de grain à moudre.

Le point d’indice doit-il rester le système de référence pour la rémunération des agents publics ?
M.P. Le point d’indice constitue un fil rouge dans la fonction publique. Il garantit l’homogénéité de traitement qui est au cœur du système. Difficile de ne pas le conserver, quel que soit ce qui a été dit plus haut. Mais il doit être relativisé. Si vous lisez le “Rapport annuel sur l’état de la fonction publique” établi par la DGAFP, dont on ne dira jamais assez la qualité, vous noterez que la référence utilisée en matière de rémunération est celle du salaire moyen par catégorie socio-professionnelle. C’est vers cette notion qu’il y a lieu de s’orienter de plus en plus dans les débats de politique salariale de la fonction publique.

Quel chantier faut-il engager en priorité en matière de rémunération dans la fonction publique ?
M.P. Il y a un chantier que je ne qualifierai pas de prioritaire, mais de préalable, qui est celui de la rémunération servant d’assiette au calcul de la pension de retraite. Actuellement, cette assiette se limite à la rémunération indiciaire perçue au cours des six derniers mois, et elle n’intègre donc pas les primes et indemnités qui représentent pourtant en moyenne plus de 25% des rémunérations. Toutes les négociations statutaires en sont faussées, car conduisant à focaliser l’attention sur les rémunérations de fin de carrière. Et de même, difficile de faire des primes et indemnités un élément utile de politique salariale, car se payant, pour l’agent, au moment de la retraite. Il s’agit là d’un chantier considérable, qui aurait pu être mené à bien si le système universel de retraite avait vu le jour. Il est plus difficile à aborder dans la configuration actuelle. Et malheureusement c’est un lourd handicap pour la politique salariale dans la fonction publique. Vient ensuite le chantier des différenciations de carrière évoqué précédemment. Je crois aussi intéressant le chantier des rémunérations complémentaires liées à des activités supplémentaires ou connexes confiées à des agents volontaires, comme la piste en a été avancée pour les enseignants. Enfin, est aussi posée la question de l’extension à toute la fonction publique d’une innovation majeure du Ségur de la santé, celle de la contractualisation d’un volant d’heures supplémentaires.

L’équipe Macron dit vouloir mettre en avant l’intéressement personnel et collectif et développer la rémunération au mérite. Qu’en pensez-vous ? La rémunération au mérite est souvent critiquée par les syndicats …
M.P. L’intéressement et la rémunération au mérite ont toujours eu mauvaise presse dans la fonction publique. À tort. Le sujet a d’ailleurs toujours été sur la table pour ce qui est des pouvoirs publics. On peut rappeler que dès le statut de 1946 élaboré sous l’égide de Maurice Thorez, il était en particulier question d’un intéressement collectif pour dépassement des objectifs du plan assignés aux différentes équipes. Il est notable que cette idée d’intéressement collectif ait resurgi sous la présidence de Nicolas Sarkozy, puis ait été inscrite dans la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019, et ait fait l’objet d’une mention spéciale dans le Grenelle de la santé. Il est certainement souhaitable de lui donner une consistance concrète. En évitant toute préoccupation de généralisation, s’agissant en particulier du monde enseignant, particulièrement réfractaire à une telle mise en œuvre en son sein, bien que l’on puisse imaginer de l’y voir pratiquée, et en évitant de se faire des illusions. La rémunération au mérite individuel est d’ores et déjà davantage acclimatée dans la fonction publique, sans toutefois y occuper une place significative. Il existe là aussi des marges pour une plus grande utilisation. Mais il reste difficile d’y voir là un levier global vraiment prometteur et déterminant de transformation de la fonction publique. Mieux vaut, sans bien sûr oublier ce mode de rémunération et en sachant en faire un usage maîtrisé, se concentrer sur les formes de reconnaissance du mérite au travers des progressions de carrière.

Article Acteurs Publics du 6 mai 2022

Article publié le 6 mai 2022.


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