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Les agents publics sont nombreux à déclarer subir des contraintes liées au rythme ou à l’intensité du travail. Une situation qui n’est pas propre au secteur, mais qu’il faut surveiller de près et accompagner de la manière la plus individualisée possible.
Cela peut passer pour la maladie du siècle. Nous avons tous, de manière ponctuelle ou permanente, l’impression d’être débordés par le travail et submergés. Mais quand cet état devient chronique, les conséquences peuvent être importantes. En janvier 2023, la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) a publié une étude montrant que les contraintes liées aux rythmes ou à l’intensité du travail concernaient 27 % des agents. À noter que les salariés du privé sont 36 % à être exposés à cette situation.
Dans le détail, presque la moitié des agents publics, soit 45 %, affirment devoir toujours ou souvent se dépêcher pour faire leur travail, 68 % affirment devoir régulièrement interrompre une tâche pour en effectuer une autre non prévue qui vient s’ajouter, 40 % ne pas pouvoir interrompre momentanément leur travail quand ils le souhaitent et enfin 36 % disent travailler toujours ou souvent sous pression.
Les résultats de l’enquête mettent également en avant d’importantes disparités de situations face à cette intensité du travail en fonction de la catégorie socioprofessionnelle. D’une manière générale, les professions intermédiaires, qui se situent entre les postes de cadres et les employés, semblent davantage soumises aux contraintes de maîtrise de temps et de leurs tâches au travail. Un état de fait confirmé par le rapport annuel 2023 sur l’état de la fonction publique, dans lequel on apprend que 45 % des agents de la fonction publique d’État déclarent avoir subi des contraintes horaires qui les ont notamment amenés à travailler au moins une fois le soir au cours des quatre dernières semaines.
Une forme de charge mentale
Une situation que les managers publics que nous avons interrogés dans le cadre de cet article observent au quotidien. Le travail intense et l’impression d’être surchargé semble chronique dans la fonction publique, autant pour eux-mêmes que pour leurs équipes. “C’est une réalité indéniable, va même jusqu’à avancer l’un d’entre eux. Cette surcharge se manifeste par des exigences professionnelles élevées, y compris des contraintes, des responsabilités accrues et des conflits latents.” Autant de facteurs qui contribuent à une augmentation importante de la fatigue et à une diminution du bien-être des agents.
Du côté de la fonction publique territoriale, confrontée à d’importants problèmes d’attractivité, le phénomène est aussi très présent. “J’aurais tendance à associer la surcharge de travail à une surcharge mentale, souligne Anne-Laure Chalet, DGA « services à la population » à la ville de Caluire-et-Cuire (Rhône). Sur des postes de DGS ou DGA, il y a énormément de pression et de variété de sujets, ce qui crée la sensation d’être tout le temps surchargé, même si cela ne se traduit pas forcément par des choses concrètes à faire.”
Force est pourtant de constater que la véritable surcharge de travail est surtout liée aux problématiques de recrutement et d’attractivité que connaissent aujourd’hui les 3 versants de la fonction publique. “Lorsqu’une équipe n’est pas au complet, il n’est pas possible de prendre des congés ou de partir en formation, insiste Anne-Laure Chalet. Les vacances de postes ajoutent de la charge sur les équipes car il est souvent difficile de stopper des projets.”
Un manque de culture partagée
Un constat partagé par un autre manager, pour qui la baisse continue des effectifs n’est pas compensée par l’abandon de certaines missions qui, bien souvent, reste théorique. “La simplification prônée par l’exécutif, quand elle est mise en place pour l’usager ou pour la gestion des agents si l’on évoque les fonctions support, se traduit dans les administrations par une complexité croissante”, plaide-t-il. Une complexité couplée, selon lui, à une baisse des compétences et à des systèmes d’information pas toujours à la hauteur.
Cette surcharge de travail qui pèse dans le secteur public peut être également à relier à une charge réelle qui persiste dans un contexte où les rythmes évoluent et la vision du travail avec. Et ce “sans valorisation salariale comparable au secteur privé, regrette une cadre d’une institution publique. Difficile de demander de consacrer plus de temps au travail lorsque la reconnaissance ne peut pas être apportée aux agents”.
En cause également, un manque de culture partagée du fonctionnement du travail dans le secteur public. Un phénomène accentué par la multiplication des contractuels qui, pour la plupart, n’ont pas non plus, du moins au début de leur mission, cette culture “fonction publique”. “Cette trop grande diversité mène, d’un côté, à une accumulation de demandes de la part de la gouvernance sans bien connaître les réalités et les contraintes des équipes et, d’un autre côté, à des projets sans conduite faute d’expertise en management”, poursuit cette même cadre.
Un manque de structuration qui crée de la charge par la perte de temps, la multiplication des niveaux de validation ou encore le manque de délégation. Au-delà de l’augmentation de la fatigue et de la baisse du bien-être au travail, la surcharge chronique peut aussi avoir des conséquences sur l’efficacité organisationnelle de l’administration. “Pour gérer efficacement cette situation, il est nécessaire de souligner l’importance des ressources telles que le soutien social perçu du supérieur et la motivation intrinsèque des agents”, analyse un observateur.
Sur ces sujets, le rôle du comportement managérial, et notamment celui des plus hautes autorités, est central. “Les managers doivent non seulement fournir un soutien adéquat, mais aussi promouvoir un environnement de travail propice au bien-être et à l’engagement des agents, poursuit-il. Un leadership efficace et un soutien managérial peuvent atténuer les effets néfastes de la surcharge de travail.”
Face à cette situation de surcharge chronique qui les concerne eux et leurs équipes, les managers publics que nous avons interrogés ne restent pas inactifs. “J’essaie déjà de communiquer et d’être assez claire sur ce qui est prioritaire et ce qui l’est moins, traduit Anne-Laure Chalet. D’un autre côté, j’essaye de débloquer des moyens ou tout ce qui peut constituer une aide supplémentaire.” La solidarité dans les équipes est aussi une pratique courante, mais si cela peut permettre d’accompagner une charge importante de manière ponctuelle, cela ne constitue en aucun cas une solution pérenne.
Au final, cette surcharge chronique pèse lourd sur le dos des managers eux-mêmes. “J’essaie d’une part de compenser moi-même ce qui ne rentre pas dans les objectifs qui nous sont assignés, tout en devant porter auprès de ma hiérarchie ce qui ne va pas rentrer dans les délais prévus, ce qui me met dans une situation inconfortable de façon très régulière”, témoigne ainsi l’un d’entre eux.
Autant d’aspects humains qui ne peuvent pas se gérer seulement à partir d’indicateurs chiffrés. “La grande disparité des parcours dans la fonction publique, au niveau des cultures et des compétences, oblige à une écoute fine. Autrement, on passe complètement à côté de l’épanouissement professionnel des uns et des autres”, assure ainsi une cadre. Car c’est bien d’épanouissement professionnel dont il est question, rendu difficilement accessible par cette surcharge chronique. Une situation dont la fonction publique ne pourra se sortir qu’en engageant une gestion attentive et proactive, au plus près du terrain.
Article Acteurs Publics du 31 janvier 2024
Article publié le 1er février 2024.