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Droit regard sur tous les dossiers, prérogatives managériales, dérogation aux normes… En déplacement à Chartres, ce mardi 8 juillet, le Premier ministre François Bayrou a détaillé les contours de la “réforme de l’administration territoriale de l’État”, qui prévoit notamment un renforcement du positionnement et des pouvoirs des préfets vis-à-vis des services déconcentrés de l’État, mais aussi des opérateurs et établissements publics de l’État.
C’est, selon Matignon, “le retour d’un État fort au niveau local”. En déplacement à Chartres, en Eure-et-Loir, ce mardi 8 juillet, le Premier ministre François Bayrou a dévoilé les contours de la “réforme de l’administration territoriale de l’État” et “la refondation de l’État dans sa dimension locale”, qui prévoit en particulier un renforcement du positionnement et des pouvoirs des préfets.
Cette réforme “vient redonner au préfet toute sa place dans l’État”, a expliqué le chef du gouvernement devant les préfets et les secrétaires généraux des ministères. “Dorénavant, a-t-il ajouté, l’État sera doté des moyens nécessaires pour être le fédérateur et le coordinateur de l’ensemble de l’action territoriale de l’État et le préfet aura le pouvoir d’intervenir dans tous les dossiers qui dépendent de l’action de l’État.”
“Notre souhait est de revenir à une organisation beaucoup plus lisible et mieux coordonnée au niveau local avec, au cœur, le renforcement de l’action et des pouvoirs des préfets afin de faciliter la lisibilité et la coordination de l’action de l’État dans les territoires”, affirme son entourage. L’occasion pour Matignon de pointer un manque d’efficacité et de lisibilité en raison de la multiplication des canaux d’intervention de l’État, mais également du nombre d’opérateurs intervenant sur le terrain. De quoi entraver l’action des préfets, selon l’exécutif.
Avis sur l’implantation des services publics
La réforme en question sera notamment actée par une modification du décret de 2004 relatif aux pouvoirs des préfets. Dévoilés par Acteurs publics, les projets de décrets du gouvernement visent ainsi à renforcer l’autorité des préfets vis-à-vis des services déconcentrés de l’État, mais aussi des opérateurs et établissements publics de l’État. Leur présentation est prévue ce 10 juillet en Conseil supérieur de la fonction publique d’État (CSFPE), avant un passage en Conseil des ministres à la fin du mois.
Ces textes visent à renforcer le rôle de “pilotage stratégique” des préfets sur l’implantation des services publics. Ils prévoient ainsi la mise en place d’une procédure d’avis simple du préfet de département sur les projets d’organisation “ayant une incidence sur la répartition territoriale de certains services publics”. Dans le détail, les préfets seront désormais consultés et auront leur avis à donner sur les projets d’implantations territoriales des services des finances publiques, mais aussi des services de l’éducation nationale des agences régionales de santé (ARS).
Un “avis simple” du préfet est également prévu sur la carte scolaire du premier degré, sur le projet régional de santé, sur le schéma régional de santé ou encore sur le retrait ou la suspension par les ARS des autorisations d’activités de soins, ainsi que sur le retrait d’autorisation des activités médico-sociales. À noter aussi que la fongibilité des subventions publiques sera “renforcée sous l’autorité des préfets” afin de “faciliter le financement de projets d’intérêt local majeur”. La territorialisation des appels à projet ouverts aux collectivités, entreprises ou associations sera également désormais “la règle”. “Les campagnes ne seront plus pilotées ni mises en œuvre depuis les administrations centrales des ministères”, explique Matignon.
Élargissement du pouvoir de dérogation aux normes
Le gouvernement prévoit aussi d’élargir le pouvoir de dérogation aux normes des préfets en supprimant la liste limitative actuelle des domaines dans lesquels les préfets peuvent y déroger. Expérimenté à compter de 2017 puis généralisé en 2020, leur pouvoir de dérogation va ainsi être élargi à toutes les matières relevant de leur compétence s’agissant de décisions non réglementaires. “Quand il y a des normes stupides ou qui ne correspondent à pas à la vie du terrain, les préfets doivent pouvoir déroger à ces normes, a indiqué François Bayrou. Les préfets devront aussi protégés dans l’exercice de cette liberté.”
L’exécutif souhaite à ce propos consacrer ce pouvoir de dérogation au niveau législatif, afin, donc, "d’encadrer le risque pénal correspondant”. Le soutien gouvernemental concerne la proposition de loi qui a été adoptée début juin au Sénat visant à “renforcer et sécuriser ” [ce] pouvoir de dérogation afin d’adapter les normes aux territoires”. Ce texte est porté par le président centriste de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, Bernard Delcros, et par les sénateurs Rémy Pointereau (LR) et Guylène Pantel (PS). Il reprend les recommandations formulées en février dernier par ces deux parlementaires dans un rapport dans lequel ils appelaient à “pérenniser” et “étendre” ce pouvoir de dérogation expérimenté à partir de 2017 puis généralisé en 2020. Son utilisation reste encore “limitée” en raison d’un “parcours d’obstacles”, mais aussi d’une certaine “frilosité” des préfets à déroger, constataient alors Rémy Pointereau et Guylène Pantel.
“Ce texte bénéficie du soutien total du gouvernement”, avait expliqué en séance, au Sénat, François-Noël Buffet, le ministre auprès du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. “La bureaucratie excessive démotive les élus locaux et même les préfets, avait-il abondé. Déroger, c’est aussi apporter aux élus locaux le soutien de l’État dont ils ont besoin. La sécurisation passe par l’inscription du pouvoir de dérogation dans la loi, mais aussi par la responsabilité pénale des préfets.” Reste désormais à inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et à ce qu’il y soit adopté.
Renforcement du pouvoir managérial des préfets
Au-delà du renforcement du droit de regard des préfets sur les politiques publiques au niveau local, la réforme prévoit aussi un renforcement de leurs prérogatives managériales vis-à-vis des autres services de l’État. L’exécutif a néanmoins intégré quelques ajustements par rapport à la version initiale de la réforme, à la suite de la montée au créneau du réseau des finances publiques, de l’éducation nationale et de la santé (ARS).
Le préfet sera ainsi désormais associé à la nomination de “l’ensemble” des chefs de services de l’État dans le département et la région, mais aussi des représentants territoriaux des établissements publics et opérateurs de l’État. Et ce via la communication d’un avis simple. Contrairement à ce qui était initialement prévu, cette consultation préalable des préfets sur les nominations ne concernera pas les emplois pourvus en Conseil des ministres, et notamment pas les recteurs ou les directeurs généraux d’ARS. L’avis du préfet est malgré tout maintenu sur les projets de nomination de directeurs régionaux et départementaux de finances publiques qui, eux, ne sont pas nommés en Conseil des ministres.
La réforme prévoit aussi que les préfets participent désormais à l’évaluation, à la fixation des objectifs et de la part variable des rémunérations de l’ensemble des chefs de services déconcentrés, y compris ceux qui ne sont pas placés directement sous leur autorité, à savoir notamment les chefs de services des finances publiques ou de l’éducation nationale. Idem pour les responsables territoriaux des établissements publics de l’État, dont le préfet est le délégué territorial ou non. Des ajustements ont été prévus par rapport à la version initiale de la réforme.
Plus grand droit de regard sur les opérateurs
“Les projets de décrets ont fait l’objet de débats et c’est normal, réagit Matignon à propos des critiques émises quant à ce renforcement des pouvoirs des préfets. Ces textes sont désormais interministérialisés et validés”. “Il y avait néanmoins une volonté extrêmement claire du Premier ministre de faire bouger les lignes, ajoute-t-on. Ces lignes bougent donc, elles amènent des évolutions non négligeables, mais qui ne se font pas ni pour ni contre, mais en faveur d’une action territoriale plus efficace.”
La réforme prévoit également d’octroyer un plus grand droit de regard des préfets s’agissant de l’action des opérateurs et établissements publics de l’État. Et ce, qu’il s’agisse des structures dont le préfet est le délégué territorial (Ademe, Anah, Anru, ANCT) comme celles dont il est n’est pas le délégué territorial.
Le préfet sera désormais informé de toute décision de leur part “susceptible d’affecter la politique de l’État et revêtant une importance particulière”. Le préfet pourra aussi être consulté préalablement par les établissements et opérateurs concernés de tout projet d’aide financière “significative” à un acteur local. Ces structures devront également adresser aux préfets un bilan annuel de leur activité dans la région ou le département concerné. Surtout, les préfets pourront aussi demander le réexamen d’une décision prise par ces établissements “ayant une incidence dans leur circonscription territoriale”. Dans ce cas, cette décision sera suspendue jusqu’à son réexamen.
Rationalisation du paysage des agences ?
Reste à savoir si le droit de regard des préfets pourrait encore être davantage renforcé vis-à-vis à de ces opérateurs, à la suite des recommandations formulées par la commission d’enquête du Sénat sur les agences de l’État. Dans son rapport présenté le jeudi 3 juillet, cette commission a en effet appelé à renforcer le rôle du préfet à l’échelle locale pour en faire le seul “chef d’orchestre” de l’action de l’État dans les territoires. La rapporteure LR Christine Lavarde a ainsi proposé de faire de la préfecture “la voie d’accès unique à l’offre de l’État et de ses agences en matière d’ingénierie territoriale”, mais aussi de faire des services préfectoraux “le point d’entrée unique des demandes d’aides ou de financement des collectivités et des entreprises”. Ce qui entraînerait le transfert au préfet de l’autorité que détiennent les agences sur les décisions de financement.
Le scénario retenu par la commission a “pour conséquence naturelle une disparition de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)”, a-t-expliqué, en recommandant donc de la “supprimer juridiquement” afin de “renforcer les services préfectoraux départementaux” avec les effectifs de cette agence. L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) serait elle aussi dévitalisée, puisque les sénateurs proposent de déléguer directement de l’État aux régions les crédits qui transitent actuellement par cette structure. La commission préconise également de “clarifier” l’organisation de la politique de la santé dans les territoires, en transférant les attributions des ARS aux services déconcentrés de l’État sous l’autorité des préfets. Une arlésienne.
“Notre réforme a été préparée avant la remise du rapport du Sénat”, réagit l’entourage de François Bayrou, tout en rejoignant en partie les analyses de la commission sénatoriale sur la multiplicité des opérateurs et des tuyaux de financement ou sur la nécessité d’une meilleure coordination au niveau local. “La réforme présentée aujourd’hui est en l’état, mais ça ne préjuge pas d’évolutions complémentaires dans le cadre de la réflexion plus globale sur les missions de l’État et à l’avenir sur l’organisation de telle ou telle structures”, ajoute Matignon, qui donne rendez-vous à l’automne, lors de l’examen du budget 2026, pour savoir si le paysage des agences et opérateurs de l’État évoluera.
Article Acteurs Publics du 8 juillet 2025
Article publié le 9 juillet 2025.