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Redonner du sens au travail, un chantier prioritaire pour la fonction publique

La perte de sens au travail n’est pas propre au service public. Pour autant, les bouleversements qu’a connus le monde professionnel ces dernières années ont eu un impact plus global sur la notion de service public et sur l’engagement des agents. Un effet négatif qu’il est possible de limiter en travaillant notamment sur l’accompagnement des parcours et la qualité de vie au travail.
L’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE) s’est penché, dans le cadre du dernier numéro de sa revue Action publique, sur le sens au travail dans la fonction publique. Alors que cette notion devient un véritable outil managérial, notamment pour attirer et retenir les talents, l’IGPDE a convoqué plusieurs chercheurs, afin de déterminer s’il y avait ou non des spécificités propres à la fonction publique autour du sens au travail.

On apprend en premier lieu que, dans le cadre d’une étude menée auprès de 4 500 agents du service public, 80 % du panel interrogé assuraient éprouver régulièrement ou très fréquemment une perte de sens dans leur travail. Parmi les raisons mises en avant, une désillusion globale ressentie par rapport au fait de servir un intérêt général, mais aussi un déficit de vision et un manque de moyens pour réaliser leurs missions.

Dans ce contexte, Caroline Arnoux-Nicolas, maître de conférences en psychologie à l’université de Paris Nanterre, mentionne une autre étude qu’elle a menée en 2023 auprès d’agents du service public. Les résultats ont montré que l’un des premiers aspects donnant du sens au travail des agents publics était le fait de répondre à une mission de service public. Et de rapporter les propos de Nicolas, chargé de mission pour le pilotage et l’animation d’un réseau de collectivités dans une administration centrale : “Mon travail n’a d’intérêt que s’il contribue à l’intérêt général ; c’était un choix de départ quand je me suis tourné vers une administration centrale pour mettre mes compétences et mon savoir-faire au service d’un intérêt général et aussi avec de nouveaux modes d’action comme la contribution citoyenne.”

Aspirations individuelles et collectives

“Le sens trouvé au travail repose sur un équilibre fragile à trouver par les travailleurs issus de milieux professionnels divers, au carrefour de leurs aspirations individuelles profondes, d’aspirations en lien avec le collectif, des attendus et contraintes organisationnels, développe Caroline Arnoux-Nicolas. Parmi les aspirations individuelles, se développe actuellement une quête vers une meilleure conciliation des différentes sphères de vie s’accompagnant d’une réflexion autour de la place du travail dans nos existences.” Les aspirations collectives, quant à elles, tendent à prendre davantage en considération des préoccupations et enjeux sociétaux chez certains travailleurs. L’universitaire invite les employeurs publics à davantage accompagner les agents dans leur évolution professionnelle afin de favoriser le sens qu’ils pourront trouver dans leur travail tout au long de leur parcours.

Mais le sens au travail a-t-il des spécificités dans le secteur public ? C’est notamment à cette question que David Giauque, professeur de gestion des ressources humaines et de management public à l’Institut des hautes études en administration publique à l’université de Lausanne, et Guillaume Aujaleu, sous-directeur des politiques sociales et des conditions de travail au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, ont été invités à répondre.

Les modes de fonctionnement public-privé se rapprochent

Il ressort de leur analyse que les travaux des sociologues des organisations qui ont porté à la fois sur le secteur public et le secteur privé montrent que dans les grandes organisations complexes, le fonctionnement au quotidien, les recrutements, les méthodes de travail ou encore les technologies sont en train de se rapprocher. “Il n’y a plus, aujourd’hui, de spécificité dans ces organisations complexes par rapport à un secteur public qui aurait des modes de fonctionnement particuliers, peut-être moins efficients, avec des normes qui les contraindraient, expose ainsi Guillaume Aujaleu. Aujourd’hui, on observe au contraire un rapprochement des méthodologies de travail.”

Un constat qui, selon les 2 experts, pose finalement des questions sur les valeurs du travail. On peut se demander si la structure publique doit fonctionner comme une structure privée. L’agent public porte-t-il les mêmes valeurs individuelles au travail qu’un salarié du secteur privé ? Si aujourd’hui, ces valeurs semblent converger, une spécificité reste, celle du sens du service public. “Concrètement, on retrouve cette notion dans les documents qui servent à évaluer individuellement les agents publics, souligne Guillaume Aujaleu. On peut se poser la question de savoir ce que cela recouvre réellement. Il n’y a pas vraiment de définition précise, mais cette notion fait référence à un attachement particulier de l’agent public et du collectif de travail à ce qu’on dénomme l’« intérêt général », à rebours des intérêts particuliers ou des intérêts privés.”

L’analyse se poursuit afin de savoir dans quelle mesure certaines valeurs récemment mises à l’agenda de la réforme de l’État, comme la performance ou la responsabilité, influent sur le sens que les agents publics accordent à leur travail. “En tant que telles, ces valeurs n’étaient pas étrangères au secteur public, estime David Giauque. Je pense que les agents publics, qu’ils soient français, suisses, européens, américains, canadiens, sont intéressés à la fois par l’efficience et l’efficacité de leur organisation.” Il souligne néanmoins que la “nouvelle gestion publique” a orienté très fortement le curseur vers le pilotage des organisations publiques sur la base d’indicateurs qui visaient à savoir si celles-ci pouvaient développer plus d’efficience productive.

La qualité de vie au travail, chantier majeur

Au final, dans un contexte de déficit d’attractivité de la fonction publique, il existe des leviers spécifiques pour donner ou redonner du sens au travail des agents publics. Et sur ce point, les pistes évoquées ne manquent pas avec, en premier lieu, la nécessaire formation des agents publics aux nouveaux outils numériques. “Le savoir-faire du fonctionnaire, aujourd’hui est déconstruit en grande partie par la machine, l’outil numérique, par l’intelligence artificielle, estime Guillaume Aujaleu. Il y a beaucoup de métiers tertiaires qui sont effectivement en réinterrogation, pas uniquement dans le secteur public, bien entendu, mais dans le secteur public, beaucoup de processus administratifs et financiers sont aujourd’hui interrogés.”

Un contexte qui remet en question la place réelle de l’agent dans l’organisation du travail et a donc des répercussions sur le sens qu’il va trouver dans son travail. Et pour limiter ces impacts, la qualité de vie au travail est avancée comme l’un des chantiers majeurs qui attendent les ressources humaines du service public dans les années à venir. Les 2 experts estiment que la réflexion sur cette thématique est dans une phase embryonnaire. Ces éléments commencent néanmoins à être intégrés, car on prend conscience que toutes ces transformations ont des conséquences sur le sens du travail, sur la qualité de vie au travail, et donc sur l’efficacité du processus et du service public. Reste à inventer ces plans d’accompagnement et ce nouvel imaginaire à la fois individuel et collectif.

Article Acteurs Publics du 17 août 2023

Article publié le 23 août 2023.


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