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Cet ancien salarié sans-papiers s’est fait le porte-parole du mouvement démarré le 7 décembre 2021, en parallèle de celui démarré dans l’Essonne. Près de trois mois plus tard, les grévistes veulent aller jusqu’au bout pour obtenir leur régularisation.
Bientôt trois mois et ils sont toujours là, sous leurs abris de fortune faits de bois et de bâches devant l’agence Chronopost d’Alfortville. Parmi la trentaine de grévistes présents sur le piquet de grève, Aboubacar Dembelé, 29 ans, s’érige comme porte-parole du mouvement. Une lutte née en parallèle de celle démarrée initialement dans l’Essonne, au Coudray-Montceaux, où le piquet a été évacué début février, puis à Gennevilliers (Hauts-de-Seine).
Le jeune homme de 29 ans, embauché à l’origine par le sous-traitant Derichebourg, travaille pour Chronopost pendant plus de deux ans. Il occupe différents postes, du déchargement, au tri en passant par le scan. Tous « très durs » et que « seuls des sans-papiers occupent », observe-t-il.
Ce qui se traduit par une inégalité face à la pénibilité du travail. « On a remarqué que dans cet entrepôt-là, les sans-papiers étaient tous accrédités à des postes particulièrement durs. D’autres travailleurs, régularisés, eux, ne tiennent qu’un ou deux jours. Ils disent tous que c’est de l’esclavage moderne », raconte l’ancien salarié. « Mais nous, on n’a pas le choix. Même si c’est dur, on s’accroche », explique-t-il en évoquant les maux de dos que certains ont développé.
« Ici, on met fin aux contrats par SMS »
« On ne travaille pas dans des conditions légales. Un humain n’est pas censé travailler au rythme d’une machine », assure Aboubacar. Le rythme devient intenable. « La quantité de travail qu’on nous donne est faite pour une durée à temps plein mais on nous demande de l’exécuter à temps partiel. On a systématiquement une demi-heure qui nous est ajoutée à la fin de la journée sans jamais être payée », dénonce-t-il.
Au moindre relâchement, le salarié peut perdre son contrat. « Il n’y a aucune pause. Même pas pour prendre un thé ou un café. Pour se rendre aux toilettes, c’est le même souci. On commence à nous hurler dessus pour nous dire de retourner travailler. Et ça se traduit par des menaces de fin de mission », affirme le jeune homme. Une méthode que Jean-Louis Marziani, membre du syndicat Solidaires 94, déplore : « Là où on procéderait à un licenciement avec des documents officiels, ici, on met fin aux contrats par SMS. » Ces conditions, Aboubacar les endure par manque d’alternative. « On est sans papiers, nos employeurs savent parfaitement qu’on a besoin de ce travail, justifie-t-il. J’ai enchaîné 53 contrats d’une semaine jusqu’à présent. Sans pause entre les missions. Chaque semaine, je devais travailler dans ces conditions, sans me plaindre », assure l’ancien salarié.
Une pratique contre laquelle se positionne La Poste, d’après un communiqué. « Chronopost condamne fermement toute pratique illégale et rappelle aux sociétés prestataires de services auxquelles elle a recours de garantir le respect de l’ensemble de leurs obligations vis-à-vis de la législation française », explique l’entreprise. « Chronopost, c’est comme une bande organisée avec ses sous-traitants, affirme Aboubacar. On s’est rendu à la direction générale de l’entreprise. La DRH nous a reçus avant de nous dire que la boîte ne nous reconnaît pas et qu’elle n’est pas notre employeur. Ce qui est totalement faux. »
Un statut flou au regard du droit au séjour, selon la préfecture
« Il incombe aux sociétés prestataires de services, qui sont dans ce cas l’employeur, de garantir que le personnel qu’elles recrutent et qu’elles mettent à la disposition de Chronopost est bien en règle. Par conséquent, ce sont les sociétés prestataires de services avec lesquelles Chronopost contractualise qui organisent l’activité de leurs équipes sur site (gestion des pauses, des horaires de ses salariés, management, rémunération…) », estime La Poste, qui apporte ces éléments à travers un communiqué au nom des sous-traitants, dont Derichebourg. Un discours qui fait écho à celui de la préfecture du Val-de-Marne qui explique que « la direction du travail a pris contact avec les entreprises sous-traitantes. Ce contact n’a pas permis d’établir le statut exact des employés au regard du droit au séjour ».
« Salut les gars ! », lance un employé de l’agence en sortant avec sa voiture. Aboubacar le salue à son tour, en souriant. Une attitude qui révèle un paradoxe, selon le gréviste : « Les gens ici nous connaissent et nous saluent régulièrement quand ils passent en voiture. Les chefs de Derichebourg et de Chronopost aussi. Mais officiellement, la boîte maintient qu’elle n’a jamais travaillé avec nous. »
La préfecture ne prévoit pas de démanteler le campement des grévistes. « La Poste n’a pas assigné en justice les manifestants, comme l’a fait la direction de DPD France au Coudray-Montceaux et le maire n’a pas pris d’arrêté d’interdiction de cette manifestation », indique le communiqué. Après ces longues semaines de grève et de manifestation, les 17 grévistes, soutenus par une dizaine « d’anciens » n’ayant pas obtenu leur régularisation en 2020, n’en démordent pas. « On restera ici autant de temps qu’il faudra. On ne se fatiguera pas », assure-t-il, plus motivé que jamais. Leurs aînés avaient lutté sept mois.
Article Le Parisien du 1er mars 2022
Article publié le 2 mars 2022.