vous êtes ici : accueil > Divers
Malmenées depuis des années par la réduction de la dépense publique, les universités françaises sont au bord de la cessation de paiements depuis le nouveau tour de vis austéritaire voulu par la droite et les macronistes.
La recherche de rentabilité mène à la mise en faillite du service public. Un refinancement sous contrôle démocratique est nécessaire.
PIERRE BAGHDAD Membre du collectif doctorant de la CGT Ferc
Toute discussion sur la question des moyens accordés à l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR) se doit de rappeler une évidence pourtant largement mise au second plan : le sous-financement est un choix politique ! Quand les aides publiques aux entreprises (au moins 150 milliards par an) représentent plus de six fois le budget total de l’ESR ou qu’une large partie de ce budget se retrouve captée par des acteurs privés (comme avec le crédit d’impôt recherche), c’est une mise en faillite d’un service public qu’il faut analyser et dénoncer. Malgré les grandes annonces des ministres successifs, la baisse du financement de la recherche française est chaque année renouvelée (notamment en rapport avec l’inflation ou l’augmentation massive du nombre d’étudiants). Les principes libéraux de rentabilité et de concurrence de tous contre chacun minent toujours plus l’ambition nécessaire d’un grand service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Si un refinancement massif de la recherche est essentiel, notamment grâce à la sanctuarisation de pourcentages du PIB pour l’ESR (au moins 2 % pour l’enseignement supérieur et 3 % pour une recherche publique ambitieuse), ce n’est pas la seule nécessité impérative pour revitaliser notre service public.
Une nouvelle vision nécessite la mise en œuvre d’un contrôle national et démocratique des questions financières. C’est bien aux travailleuses et travailleurs de l’ESR eux-mêmes de fixer les lignes directrices de financement des universités et des établissements publics. Il devient urgent de renationaliser le financement des universités et d’enrayer les logiques centrifuges de la pseudo-autonomie des établissements. Ce contrôle collectif et souverain des orientations de la recherche et de l’affectation des crédits doit respecter une juste représentation de l’ensemble des personnels de l’ESR, loin des standards indigents de « démocratie » des conseils centraux de nos établissements.
Dans cet esprit de reprise en main démocratique du financement de l’ESR, la culture actuelle des appels à projets, nationaux ou européens, qui a restructuré nos établissements, est inacceptable.
Ces financements soustraient l’orientation de la recherche à la délibération collective, au profit d’une orientation technocratique en réalité soumise aux injonctions capitalistes. Il n’y a que des financements publics pérennes qui soient compatibles avec un statut de fonctionnaire, socle de nos services publics, et seul à même de répondre aux exigences de l’intérêt général.
Cette nécessité de démocratie et de débat collectif est également un garde-fou indispensable face aux remises en cause de la liberté académique qui explosent ces dernières années. C’est une des seules solutions pour extirper la recherche et l’enseignement des desiderata des acteurs économiques privés et des représentants politiques réactionnaires qui voudraient museler l’esprit critique ainsi que le développement et la communication libres de la connaissance.
Il faut basculer les milliards d’euros détournés par la spéculation, le profit et la rente vers l’enseignement supérieur public et la recherche
JEAN FABBRI Enseignantchercheur, syndicaliste, ancien doyen de la faculté des sciences de l’université de Tours
Le constat est fait par la Cour des comptes, des commissions parlementaires, des économistes : la plupart des dispositions budgétaires voulues par les gouvernements ces dernières années ont affaibli les universités et plus globalement l’ensemble du périmètre public de l’enseignement supérieur et de la recherche (en favorisant le privé). Il y a presque vingt ans, avec le syndicat Snesup-FSU, nous dénoncions l’organisation délibérée par le pouvoir politique, avec la loi liberté et responsabilités des universités, d’une rupture brutale avec la logique de service public. Pour faire court, ces gouvernements ont tourné le dos à une vision politique émancipatrice de la science, des techniques et de l’éducation, qui ont vocation à irriguer le plus largement toute la société… et ont détourné de ces objectifs environ 15 milliards d’euros par an. Si le gouvernement Barnier envisageait d’augmenter la part des jeunes (et des familles) dans le financement des études supérieures, nous réaffirmons à rebours que le seul choix politique qui correspond à la devise de notre République, c’est un financement d’État massif seul capable de faire échapper la recherche publique et la diffusion des connaissances à des pressions et un accaparement privé comme à la sélection sociale. Deux voies sont à associer pour financer l’enseignement supérieur. Il faut d’abord réorienter les sommes détournées. Chaque année, supprimer les niches fiscales (crédit impôt recherche, apprentissage dans le post-bac privé…) – dont l’habillage « recherche » ou « insertion » n’est qu’un leurre – rapporterait plus de 8 milliards. Faire payer à leur juste prix les cessions de brevets dus pour l’essentiel aux laboratoires publics (biologie, intelligence artificielle, pharmacie, matériaux…) amènerait au moins 2 milliards. Supprimer l’appareil bureaucratique dit « d’évaluation » et de mise en concurrence des établissements universitaires, des organismes de recherche et de leurs personnels, en rendant sa place à la collégialité des universitaires et chercheurs ferait entrer un air de liberté là où celle-ci s’est réduite ; de même interdire le recours aux cabinets de conseil privés, qui ponctionnent les universités en faisant produire par des mercenaires sortis d’écoles de commerce privées des instructions sur la réorganisation du service public, rapporterait près de 0,8 milliard. Il faut ensuite abonder le budget. Il est possible d’augmenter de 3 milliards l’effort de la nation pour l’enseignement supérieur et la recherche quand on voit la loi de programmation militaire de 2023 qui a dopé de près de 4 milliards celui de la défense. Cela permettrait de résorber la précarité étudiante, de recruter plus de personnels – et il en faut –, tous sur des emplois statutaires, de revaloriser les salaires et de rétablir leur gestion nationale, garante de carrières libérées d’une individualisation perverse.
Article L’Humanité du 8 janvier 2025
Article publié le 13 janvier 2025.