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Démission du gouvernement Lecornu et “affaires courantes” : quel avenir pour le budget ?

Le nouveau séisme politique provoqué par la démission de Sébastien Lecornu pose la question du devenir du projet de loi de finances pour 2026. Selon le secrétariat général du gouvernement (SGG), un gouvernement démissionnaire pourrait déposer un tel texte afin de respecter les délais de consultation du Parlement. Une hypothèse toutefois risquée.

La France aura‑t‑elle un budget avant la fin de l’année et quels scénarios pour le projet de loi de finances, en l’absence de gouvernement ? Déjà prégnantes fin 2024 à la suite de la censure du gouvernement de Michel Barnier, ces problématiques reviennent aujourd’hui avec insistance depuis l’annonce de la démission de Sébastien Lecornu, le lundi 6 octobre. Un nouveau séisme politique qui pose la question du devenir du projet de loi de finances (PLF) pour 2026. Un PLF qui devait être prochainement dévoilé. C’est en effet le 13 octobre au plus tard que ce texte devait être présenté en Conseil des ministres afin de laisser au Parlement le fameux délai de 70 jours pour se prononcer sur le budget afin de permettre sa promulgation avant le 31 décembre.

Les cartes sont aujourd’hui rebattues avec la démission du gouvernement Lecornu, qui est désormais en charge des “affaires courantes”, afin d’assurer la seule “continuité du service public”. Et la prolongation probable de la crise politique ne manque de soulever de nombreuses problématiques sur le plan budgétaire. Une question taraude notamment les esprits, dans l’éventualité où aucun nouveau gouvernement n’est rapidement nommé : un gouvernement démissionnaire (en l’occurrence le gouvernement Lecornu) peut‑il déposer un projet de loi de finances afin de respecter l’échéance du 13 octobre ? Dans une note d’août 2024, publiée après la démission du gouvernement Attal, le secrétariat général du gouvernement (SGG) avait répondu par l’affirmative. L’hypothèse ne fait néanmoins pas l’unanimité chez les constitutionnalistes (voir encadré).

Une question “délicate” selon le SGG

Les services de Matignon le concédaient : “Il faut faire preuve d’une extrême prudence dans la sollicitation du Parlement en période d’affaires courantes”. “ Néanmoins”, “tant la doctrine que les précédents sous la IIIᵉ et la IVᵉ Républiques laissent penser qu’en cas d’urgence financière, un gouvernement démissionnaire peut déposer des projets de loi pour permettre la continuité de la vie de la Nation”, ajoutait le SGG.

Il citait notamment, à ce propos, la possibilité, pour un tel gouvernement, de déposer “sans risque juridique ni politique” un projet de loi de finances “spéciale” l’autorisant à percevoir les impôts existants jusqu’au vote d’une nouvelle loi de finances et à reconduire les dépenses au titre du régime des “services votés”. Michel Barnier avait recouru à ce type de texte à la suite de la censure de son gouvernement et faute de temps pour le Parlement d’examiner un nouveau budget.

Sans précédent, la question de savoir si gouvernement démissionnaire peut déposer un PLF est “bien plus délicate”, explique le secrétariat général : “Dans la mesure où la Constitution prévoit expressément la possibilité de recourir à un projet de loi spéciale en cas d’urgence pour permettre la continuité de la vie de la Nation, il semble, à première vue, difficile de plaider la possibilité pour un gouvernement démissionnaire de déposer un PLF, qui relève moins de l’urgence compte tenu de sa moindre portée juridique.”

Un risque juridique “très limité”…

Pour le SGG, plusieurs arguments pourraient néanmoins “plaider pour ne pas écarter” le dépôt d’un projet de loi de finances comme d’un projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en période d’affaires courantes. Le risque juridique encouru est “très limité”, affirmaient ainsi les services de Matignon, pour qui le Parlement “ne peut pas s’opposer” à l’examen de tels textes, au motif qu’ils auraient été déposés par un gouvernement démissionnaire. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale ou du Sénat peut s’opposer à l’inscription à l’ordre du jour d’un texte, mais uniquement dans l’hypothèse où celui‑ci ne serait pas présenté dans les conditions prévues par la loi organique de 2009 relative aux conditions de présentation des projets de loi et notamment à leurs études d’impacts. “Cette procédure ne s’applique pas aux textes financiers”, indique le SGG.

Par ailleurs, ajoute‑t‑il, si le Parlement adopte le texte financier en question, “c’est qu’il reconnaît implicitement que le gouvernement démissionnaire était compétent pour le déposer et qu’il serait alors très peu probable que le Conseil constitutionnel en censure les dispositions au motif que le texte aurait été déposé par un gouvernement démissionnaire”. Enfin, abonde le secrétariat général, “dans I’hypothèse où le Parlement rejetterait le texte”, “alors le gouvernement devrait de toute façon déposer un projet de loi spéciale, texte pour lequel sa compétence, en tant que gouvernement démissionnaire, ne fait aucun doute sur le plan juridique”.

… mais de nombreux risques politiques

Selon le SGG, la présentation d’un budget par un gouvernement démissionnaire ménagerait aussi les droits du Parlement, “tout en servant les intérêts du gouvernement en lui donnant bien davantage de marges de manœuvre que les procédures d’urgence”. Dans ce cas, le Parlement pourrait en effet soit choisir de rejeter d’emblée le texte présenté par le gouvernement démissionnaire, soit décider de l’amender ou encore d’en faire, “au moins en partie”, son texte, “à défaut d’avoir pu l’initier”.

Les services de Matignon préviennent toutefois : ces arguments favorables à l’idée de la présentation d’un PLF par un gouvernement démissionnaire “méritent évidemment d’être mis en regard des arguments juridiques et politiques forts qui seraient invoqués à l’encontre de cette initiative, au nom du retour le plus rapide possible au fonctionnement normal de nos institutions”. Au vu de la situation politique actuelle, en effet, la présentation d’un projet de loi de finances par le gouvernement Lecornu démissionnaire ne manquerait pas d’être vivement critiquée. L’hypothèse est effectivement hautement inflammable sur le plan politique, ce qui fait de la loi de finances spéciale le scénario le plus probable en cas de non‑présentation du budget avant la mi‑octobre.

Un débat doctrinal chez les constitutionnalistes
Un débat doctrinal existe chez les constitutionnalistes quant à la possibilité d’examiner ou de voter des textes budgétaires en période d’expédition des affaires courantes. Professeur de droit public à l’université Toulouse Capitole, Mathieu Carpentier exclut ainsi cette possibilité : “Le SGG est en désaccord, mais je ne vois pas comment un gouvernement démissionnaire pourrait déposer et mettre en discussion un PLF. Le budget est un acte politique majeur et on ne saurait parler d’urgence dans la mesure où le PLF comprend de nombreuses dispositions qui n’ont rien d’urgentes et, où, tant la Constitution que la Lolf prévoient des procédures d’urgence comme le projet de loi spéciale pour assurer la continuité de la vie nationale lorsqu’un retard trop important a été pris dans le dépôt du PLF. Dès lors qu’une procédure d’urgence est prévue par les textes, la procédure normale ne saurait être urgente.” Maître de conférences en droit public à l’université Panthéon‑Assas, Benjamin Morel a récemment plaidé l’inverse. Certes, expliquait‑il lors de son audition par la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la gestion des affaires courantes, “le gouvernement en affaires courantes ne peut pas, en théorie, décider d’un nouveau budget ni procéder à des arbitrages qui orienteraient les priorités de l’année suivante.” À ses yeux, il faut rester “très modeste dans cette interprétation”. “Sous la IIIe et la IVe Républiques, de nombreux exemples montrent que des lois budgétaires ont été adoptées en période de crise ministérielle”, indiquait‑il.

Article Acteurs Publics du 7 octobre 2025

Article publié le 9 octobre 2025.


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