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En opération survie, l’exécutif hésite à suspendre la réforme des retraites

À la veille de la déclaration de politique générale du premier ministre, le Parti socialiste pense pouvoir obtenir une suspension de la réforme des retraites en échange d’une non-censure du gouvernement. Emmanuel Macron et François Bayrou entretiennent le flou quant à leurs intentions.

Au bord du précipice, l’instinct de survie fait parfois prendre des décisions inattendues. C’est le cas aussi en politique. Après avoir passé les deux dernières années à marteler le caractère indispensable de la retraite à 64 ans et le mois de décembre à accuser la gauche d’« irresponsabilité », le camp présidentiel est désormais tenté de nouer un accord avec une partie du Nouveau Front populaire (NFP) : la garantie de ne pas être renversé en échange de mesures budgétaires, en tête desquelles une remise en cause de la fameuse réforme.

Des réunions officielles à Bercy, à Matignon et à l’Élysée ; des discussions plus informelles ; des SMS et des coups de téléphone... Les négociations ont occupé toute la semaine passée l’exécutif autant que la gauche non insoumise. Elles devraient trouver leur épilogue mardi 14 dans l’après-midi, lors de la déclaration de politique générale de François Bayrou, censé acter à ce moment-là les inflexions éventuellement concédées par l’exécutif.

Le Parti socialiste (PS), principal interlocuteur du pouvoir dans la période, attend avec impatience le discours du premier ministre, et notamment son volet sur les retraites. « Qu’il dise “suspension”, “gel” ou “mise au congélo”, on s’en fout mais il faut qu’il annonce qu’il bouge », résume le député Arthur Delaporte, porte-parole du groupe PS à l’Assemblée nationale. Le choix des mots ne recouvre pourtant pas les mêmes réalités, alors que plusieurs hypothèses circulent – gel des effets de la réforme à 62 ans et demi en attendant une nouvelle négociation, suspension en 2026…

Paradoxalement, la priorité du moment est moins budgétaire que politique, comme en témoigne le revirement de François Bayrou sur la question de la suspension de la réforme. « Quand on suspend, on ne reprend pas ensuite », avait-il balayé le 19 décembre, sur France 2. Le maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) était à l’époque persuadé qu’une simple promesse d’amélioration de la loi de 2023 pouvait suffire à faire bouger le PS.

Mais la fin de non-recevoir du NFP l’a convaincu de changer de discours. L’enjeu est de taille, pour lui et pour le reste du camp présidentiel : survivre aux motions de censure que ne manquera pas de déposer La France insoumise (LFI) dès mardi 14 – pour un vote jeudi 16 –, mais surtout dans quelques semaines, après l’adoption possible du budget. L’heure est donc au changement de ton gouvernemental. « Il faut absolument toper avec le PS », résume un cadre macroniste.

Une convergence toujours difficile sur le fond

Dans cette optique, la nomination d’Éric Lombard au ministère de l’économie et des finances agit comme une passerelle bienvenue : l’homme est un « ami » d’Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste, et a été conseiller ministériel sous le second septennat de François Mitterrand. Bref, le profil a priori idoine pour retisser un lien – largement abîmé – entre le PS et le camp présidentiel.

Le ministre s’est entretenu à plusieurs reprises avec les responsables socialistes, mais aussi avec leurs homologues écologistes et certains communistes. Le lien est renoué, « dans une ambiance où on se claque la bise et on se tape dans le dos », selon les mots d’un participant aux échanges. Mercredi dernier, Éric Lombard et sa collègue Amélie de Montchalin, chargée des comptes publics, ont aussi réuni les trois partis de la gauche non insoumise pour un « apéro dinatoire ». Un point positif, du moins sur la forme.

Car sur le fond, la convergence est plus difficile. La gauche continue de dérouler la liste de ses revendications : abrogation ou suspension de la réforme des retraites – les socialistes se montrant plus conciliants que leurs partenaires –, augmentation du budget de l’assurance-maladie, retour sur la suppression de 4 000 postes dans l’Éducation nationale, investissements massifs pour la transition écologique, relèvement de la taxation des grandes fortunes…

Avant les fêtes, Patrick Kanner avait fait passer le message au camp présidentiel : « Il faut que vous nous parliez un langage plus socialiste ! », exhortait alors le président du groupe PS au Sénat, un des plus allants à l’idée d’un accord. D’aucun·es ont noté que le nouveau ministre de l’économie s’aventure sur ce registre, en promettant de combattre l’optimisation fiscale ou en ne fermant pas la porte à un durcissement de la fiscalité sur les plus riches. À Bercy, selon certains de ses interlocuteurs de gauche, il se serait même montré plus conciliant qu’attendu.

Dans le même temps, François Bayrou a reçu les partenaires sociaux. Les représentants syndicaux ont noté à cette occasion que le premier ministre ne fermait plus la porte à une suspension de la réforme des retraites. Ils se sont aussi félicités des accents empruntés par Laurent Marcangeli, le nouveau ministre de la fonction publique, qui les a consultés. Pourtant proche d’Édouard Philippe, le ministre a ouvert la porte à un abandon de la mesure phare de son prédécesseur : le passage de un à trois jours de carence dans la fonction publique.

Syndicats et partis de gauche partagent un même ressenti : il y a quelque chose qui bouge au sommet de l’État. « Même Amélie de Montchalin s’est prêtée au jeu avec une certaine modestie, notait jeudi Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Écologistes. Ce n’est plus la même Macronie qu’en 2022. »

De là à faire de réelles concessions sur le fond ? Chez les socialistes, où la conclusion d’un accord serait reçue comme un véritable succès politique, on laissait filtrer un optimisme « raisonnable » en fin de semaine. Dimanche matin, Olivier Faure a tout de même maintenu la pression sur l’exécutif. « Au moment où nous nous parlons, le compte n’y est pas », a-t-il affirmé sur BFMTV, soulignant que les efforts du gouvernement « ne sont pas encore suffisants ».

Le NFP en crise

Quelle qu’en soit l’issue, la période a fait replonger la coalition de gauche dans les affres de la division. Tandis que La France insoumise entend multiplier les censures pour affaiblir – jusqu’à la démission – Emmanuel Macron, la stratégie est inverse au sein de la gauche non mélenchoniste, à commencer par le PS.

Il s’agit surtout de ne pas apparaître comme celles et ceux qui ont entravé la constitution d’un budget pour la France, et de tenter d’obtenir une victoire symbolique sur les retraites – ce qui permettrait au passage à Olivier Faure d’arriver en position de force à son congrès et de creuser l’écart avec Jean-Luc Mélenchon dans l’optique d’une candidature alternative à celle du présidentiable insoumis en 2027.

Alors que les négociations battaient leur plein, Jean-Luc Mélenchon s’est fendu de deux posts de blog en deux jours pour étriller l’attitude des socialistes et de leurs camarades écologistes et communistes, accusés d’aller « dîner avec le diable » et de vouloir passer par pertes et profits le programme du NFP. Jeudi, la réunion hebdomadaire des chef·fes de partis à laquelle participait Manuel Bompard a été tendue. Comme l’échange qui a suivi, par téléphone, avec Marine Tondelier.

Les différentes sorties, parfois cacophoniques, des têtes de pont socialistes ont certes pu semer le trouble, comme Patrick Kanner qui a évoqué « la suspension ou l’équivalent » de la réforme et semblé ouvrir la porte à la retraite par points. « Pas de retraites à points. C’est le truc le plus libéral de l’univers. J.A.M.A.I.S MAIS ÇA VA PAS BIEN LES LIBÉRAUX DU PS ? », a écrit sur le réseau social X l’écologiste Sandrine Rousseau.

« Nous sommes pour la suspension, point, Patrick a fumé la moquette ! », rétorque-t-on dans l’entourage d’Olivier Faure où l’on fait aussi remarquer qu’une déception mardi serait d’autant plus cinglante qu’Éric Lombard a entretenu l’illusion. Le cas échéant, précise la même source, les député·es socialistes auraient d’autant moins de scrupules à voter la censure.

Même à Bercy, le doute planait dimanche sur l’arbitrage que finirait par prendre François Bayrou. Le premier ministre semble prêt, disent certains dans son camp, à payer le prix politique de son maintien en poste. Mais il ne dit rien et n’en fait pas beaucoup plus : son cabinet n’est pas encore au complet, son agenda est loin d’être rempli et les cadres du « socle commun » n’ont toujours pas été réunis à Matignon, une habitude hebdomadaire depuis 2017.

Et Emmanuel Macron dans tout ça ? Longtemps, les plus fidèles de ses soutiens ont cru impossible de sa part un bougé sur la réforme des retraites. « Il y tient trop pour céder là-dessus », résumait l’un d’eux début janvier. Pourtant, eux aussi ont vu les choses évoluer. Le président de la République, qui a reçu François Bayrou et les ministres concernés en fin de semaine, se serait fait une raison : la stabilité politique vaut bien une concession, mais celle-ci doit être la plus restreinte possible.

C’est tout l’objet des discussions qui continuaient de se tenir ce week-end entre Matignon, l’Élysée et les principaux soutiens de l’exécutif. Selon La Tribune Dimanche, une voie de passage s’esquisserait : la suspension pour quelques mois de la réforme, avec la tenue d’une conférence sociale de financement autour du 20 janvier, puis une négociation paritaire express. Charge dès lors au patronat et aux syndicats de s’accorder sur une nouvelle version de la réforme d’ici l’été, avec un cadrage budgétaire serré. En cas d’échec, c’est le texte de 2023 qui reprendrait sa marche en avant.

Les menaces de Laurent Wauquiez

Si elle se confirme, l’option sera loin de susciter l’enthousiasme des partis de la coalition gouvernementale, à commencer par Renaissance et Les Républicains (LR). Pas de quoi faire trembler Matignon, où l’on notait ces derniers jours que les premières fuites d’une convergence avec le PS n’ont pas fait sortir les cadres du camp présidentiel de leurs gonds.

Gabriel Attal, patron de Renaissance et du groupe parlementaire Ensemble pour la République (EPR), se fait particulièrement discret dans la période. Édouard Philippe, à la tête d’Horizons, a jugé sur France 5 que la suspension serait une « mauvaise idée », ajoutant « concevoir l’avantage et l’intérêt pour le pays à conserver cette stabilité politique et à ne pas avoir une deuxième motion de censure », comme une façon de dire qu’il ne serait pas un obstacle à un éventuel accord. Dimanche, la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a quant à elle indiqué « ne pas être opposée par principe » au fait d’« arrêter » brièvement la réforme pour en « rediscuter ».

Même les plus proches du chef de l’État commencent doucement à se faire à l’idée. Ainsi du ministre de l’industrie et de l’énergie, Marc Ferracci, qui, tout en alertant sur « les problèmes techniques quasiment insolubles » que poserait une suspension, reconnaît : « La donne a changé. On a perdu les élections, on n’a plus de majorité. On doit forcément faire des efforts face à une urgence aussi manifeste. »

Reste l’obstacle LR : le parti de droite a monté le son ces derniers jours. Après Gérard Larcher, le président du Sénat, qui a dit « ni suspension ni abrogation » dans Le Parisien, Laurent Wauquiez s’est voulu offensif dimanche dans les mêmes colonnes. « Ce qui me gêne, ce n’est pas de discuter avec la gauche, c’est de tout leur céder, a affirmé le président du groupe de la Droite républicaine à l’Assemblée. J’ai le sentiment que la priorité du gouvernement est de négocier une assurance-vie auprès du Parti socialiste, quelles qu’en soient les conséquences pour le pays. Ce que demande le PS est irresponsable. »

Les cadres de LR menacent de quitter le gouvernement : « Suspendre [la réforme des retraites] sans scénario alternatif revient à sauter dans le vide sans parachute, a encore déploré Laurent Wauquiez. Ce sera sans la Droite républicaine ! » Mais que valent les menaces d’un groupe de quarante-sept député·es, qui a déjà dit qu’il ne voterait pas de motion de censure au nom de la stabilité ? Et la parole de son président engage-t-elle vraiment les ministres LR, à commencer par un Bruno Retailleau plus en vue que jamais place Beauvau ?

Au sein de l’exécutif, beaucoup doutent de l’efficacité des menaces de la droite traditionnelle. « Une fois qu’ils décrochent le PS, ils s’en foutent un peu de nous, constatait, fataliste, un conseiller du groupe LR. Bayrou sait très bien que Wauquiez ne censurera pas. Et la période nous rappelle que nous ne sommes que quarante-sept. On est un peu emmerdés. Donc on va gueuler pour la forme, tout en sachant qu’on ne pèse plus grand-chose. »

Pour le chef du gouvernement, le premier défi devrait avoir lieu jeudi, avec l’examen de la première motion de censure de son bail à Matignon. Si celle-ci a peu de chances d’être adoptée, le Rassemblement national (RN) ayant fait savoir qu’il attendrait au moins le budget pour s’en emparer, le scrutin donnera une première indication quant au rapport de forces à gauche. Que feront, par exemple, les communistes et les Écologistes ?

Cyrielle Chatelain, cheffe du groupe des Écologistes à l’Assemblée, ouvrait grand la porte, jeudi, à une censure. « Quand bien même la gauche obtiendrait satisfaction sur les retraites, on reste sur un budget de coupes extrêmement violentes, expliquait alors la présidente de groupe. Et au vu des discussions à ce stade, nous n’avons aucune raison de ne pas voter la censure. Retailleau, qui allume un feu par jour, mérite la censure à lui tout seul. Et la sympathie [d’Éric Lombard], ça ne fait pas une politique. »

Article Acteurs Publics du 13 janvier 2025

Article publié le 13 janvier 2025.


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