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Fusion carte Vitale-carte d’identité : Michel Barnier fait machine arrière

Le Premier ministre a dit vouloir “sécuriser” les cartes Vitale en les adossant aux cartes d’identité électroniques. Loin d’une fusion entre les 2 cartes physiques, ou même d’une “fusion” des identités numériques associées à ces cartes, Michel Barnier entérine juste un chantier engagé de longue date : la fiabilisation et l’accélération du déploiement de l’application e-carte Vitale en l’appuyant sur la vérification d’identité permise par l’application France Identité du ministère de l’Intérieur.
Mais quelles sont donc vraiment les intentions de Michel Barnier concernant la carte Vitale ? Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a ressorti un vieux projet du placard : la sécurisation de la carte d’assurance maladie. Depuis, le flou règne sur la manière dont le nouveau locataire de Matignon entend s’y prendre, y compris dans les services concernés, au ministère de l’Intérieur et à l’assurance maladie.

Michel Barnier a évoqué, lors de sa déclaration de politique générale, le 1er octobre, son intention de “sécuriser” la carte Vitale “pour éviter le versement indu d’allocations” et ainsi lutter contre la fraude sociale. Une formulation très floue, qu’il a à peine précisée dans une interview sur France 2 le 3 octobre. Le Premier ministre a dit vouloir “adosser” la carte Vitale à la carte d’identité électronique, sans prononcer le mot de “fusion”.

Trop cher et trop risqué

Cette dernière piste, soutenue par son prédécesseur, Gabriel Attal, semble en effet bel et bien abandonnée, selon nos informations. En cause notamment, les conclusions d’une mission d’inspections dépêchée après une première mission sur la faisabilité et la pertinence de la création d’une carte Vitale biométrique, là aussi pour lutter contre la fraude. C’est cette première mission, menée par les inspections générales des Affaires sociales et des Finances (Igas et IGF), qui avait écarté en 2023 l’option de la carte biométrique, beaucoup trop chère et risquée sur le plan des données personnelles.

Les deux inspections générales avaient soumis à la place l’idée d’une fusion des 2 cartes, avec l’intégration du numéro de sécurité sociale (NIR) directement dans la puce de la carte d’identité électronique. Ce scénario, en plus d’offrir une alternative à la biométrie, “cumule les avantages en termes de lutte contre la fraude, d’identitovigilance, de simplicité d’utilisation et d’accès aux droits”, selon le rapport, et serait en outre bien plus aligné avec la stratégie actuelle du ministère de la Santé, qui développe depuis plusieurs années une carte Vitale dématérialisée sur mobile, l’application e-carte Vitale.

Mais là encore, l’idée de la fusion n’a pas été très bien accueillie par l’assurance maladie, pas plus que par le ministère de l’Intérieur, dont les services avaient été pris de court par l’annonce de Gabriel Attal en mai 2023. Compliqué en effet de supprimer purement et simplement la carte Vitale, plus largement répandue que la carte d’identité qui, rappelons-le n’est pas obligatoire, pas plus que l’utilisation de l’application d’identité numérique France Identité. À l’inverse, pour obtenir une carte Vitale, il n’est pas nécessaire d’avoir la nationalité française. Le directeur de la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam), Thomas Fatôme, avait d’ailleurs indiqué aux inspections qu’un tel projet de fusion ne permettrait pas de couvrir “l’ensemble de la population assurée” et qu’il faudrait donc conserver des cartes Vitale physiques.

Un rapport enterré discrètement

Les inspections lui ont donné raison et ne sont pas allées dans le sens d’une fusion. De fait, le rapport qui lui a été remis avant l’été n’a pas beaucoup plu à Gabriel Attal. “Dès la présentation au printemps dernier d’une première version du rapport, Matignon était bien embêté par les conclusions des inspections. Il n’y a même pas eu de réunion interministérielle à ce sujet par la suite : c’est un vrai enterrement de première classe”, confie une source proche du dossier. D’où la proposition de Michel Barnier d’un “adossement” de la carte Vitale sur la carte d’identité. “Cette idée d’adossement est beaucoup plus proche des conclusions des inspections que celle d’une fusion pure et simple, qui serait une folie car elle interromprait le déploiement des nouvelles cartes d’identité”, souffle un haut fonctionnaire au fait des conclusions du rapport, resté confidentiel.

Sollicité par Acteurs publics, Matignon confirme que son objectif n’est pas de fusionner les cartes mais de “de relier les 2 cartes dans leur version dématérialisée, via France identité numérique”, afin de “renseigner l’identité du détenteur de la carte Vitale numérique, à partir de France Identité numérique, ce qui renforcera la sécurisation”. Autrement dit, l’ambition n’est plus de fusionner les titres physiques, mais de rapprocher les 2 applications d’identité numérique : France Identité (adossée à la CNIe) d’un côté, et la e-carte Vitale, du côté de l’assurance maladie.

Cette dernière application doit permettre de renforcer le niveau de sécurité des connexions aux sites de la sphère “santé-social”, pour atteindre un niveau de fiabilité dit “substantiel”, là où l’identité “Ameli” aujourd’hui disponible dans FranceConnect reste au niveau “faible”. De son côté, France Identité, en s’appuyant directement sur la carte d’identité électronique, atteint elle le niveau de sécurité et de fiabilité le plus élevé.

Capitaliser sur le processus d’activation de France Identité

D’après nos informations, le chantier de sécurisation annoncé par Michel Barnier se résume en fait à un coup d’épée dans l’eau, ou à une communication quelque peu ambitieuse. En effet, il ne s’agit donc pas de fusionner les 2 cartes, ni même les 2 identités numériques, mais simplement de capitaliser sur l’embarquement des utilisateurs de France Identité – lequel nécessite une vérification d’identité robuste –, pour faciliter et fiabiliser l’enrôlement des utilisateurs de l’e-carte Vitale. Une “dérivation” d’identité à partir de la plus fiable d’entre elles, France Identité, sur laquelle travaillent en réalité de longue date le ministère de l’Intérieur et l’assurance maladie. Cette forme de mutualisation avait déjà été recommandée par un rapport d’inspections dès 2018.

Il s’agit d’éviter aux assurés de devoir prouver leur identité lors de l’activation de l’application e-carte Vitale. Ce qui aurait le mérite d’accélérer le déploiement de l’application, plus sécurisée que la simple carte physique, et d’économiser plusieurs millions d’euros, en divisant par deux voire par quinze le coût d’enrôlement de chaque utilisateur. Pour activer l’application de chacun d’entre eux, l’assurance maladie a en effet recours à un système de vérification d’identité à distance, combinant des outils de reconnaissance faciale et parfois une vérification humaine. En plus d’être plus coûteux, ce système n’est pas infaillible et laisse de la place à l’usurpation d’identité. Soit précisément ce que veut éviter le gouvernement.

Quand l’assurance maladie planifiait la disparition des cartes Vitale
Une autre option pourrait consister à supprimer progressivement la mise en circulation de nouvelles cartes Vitale à mesure que l’application e-carte Vitale, plus sûre, se déploie. C’est en tout cas le scénario qui était privilégié au lancement du développement de l’application, en 2018. L’assurance maladie prévoyait alors de ne distribuer plus que des “e-cartes Vitale” aux jeunes qui demandaient leur première carte, et de même pour les assurés qui la perdent. De cette façon, la Cnam espérait remplacer progressivement l’ensemble du stock de cartes physiques en circulation par une version numérique et économiser plus de 100 millions d’euros sur cinq ans grâce à la suppression des coûts de gestion des cartes physiques, à un plus grand recours aux feuilles de soins électroniques, et à une fiabilisation des données de facturation réduisant le taux d’erreur. Cette stratégie a depuis été compromise, dans la mesure où tous les assurés ne pourront pas basculer vers l’application. En 2023, l’assurance maladie espérait ainsi, au mieux, pouvoir couvrir 72 % des assurés avec l’application, et elle table toujours, du moins pour le moment, sur la coexistence des 2 supports physique et numérique. Sollicitée, la Cnam assure en effet qu’il “n’est pas prévu [que l’application e-carte Vitale] remplace la carte physique”.

Article Acteurs Publics du 9 octobre 2024

Article publié le 11 octobre 2024.


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