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La loi dite « Airbnb » adoptée, malgré l’ultime lobbying de la plateforme

La proposition de loi visant à encadrer les meublés de tourisme a été votée jeudi 7 novembre à l’Assemblée nationale. Grâce à un argumentaire repris presque mot à mot par le RN, Airbnb a tenté une dernière fois de torpiller le texte.

Rarement texte législatif aura connu autant d’obstacles sur sa route. Après deux ans d’un parcours chaotique, avec claquements de portes et petites trahisons, le projet de loi visant à réguler les meublés de tourisme de type Airbnb a enfin été voté définitivement à l’Assemblée nationale ce jeudi.

« Enfin ! », souffle Annaïg Le Meur, députée Ensemble pour la République (EPR) et corapporteuse du texte avec le socialiste Iñaki Echaniz. « C’est une victoire pour les territoires », a affirmé ce dernier à l’issue du vote.

Faute de consensus entre le Sénat et l’Assemblée, une commission mixte paritaire (CMP) avait été organisée le 28 octobre pour s’accorder sur un texte commun, et celui-ci a donc été définitivement adopté jeudi 7 novembre à l’Assemblée nationale.

Le texte prévoit tout un volet réglementaire en forme de « boîte à outils » à destination des maires leur permettant de réguler le développement exponentiel de ces locations qui ont contribué à assécher le marché locatif dans certaines villes.

Un numéro d’enregistrement sera désormais obligatoire pour toute location de ce type. Une mesure essentielle pour les maires confrontés depuis des années à l’opacité des plateformes.

Toutes les communes pourront s’emparer de l’outil d’autorisation de changement d’usage, qui était jusque-là réservé aux communes de plus de 200 000 habitants.

Quelle que soit, là encore, la taille de leur commune, les maires pourront imposer des quotas plafonds à ces locations – par exemple pas plus de 7 % de meublés de tourisme dans un quartier –, alors que les villes qui appliquent aujourd’hui ces quotas comme Saint-Malo ou La Rochelle sont systématiquement attaquées en justice.

Les communes qui ont plus de 20 % de résidence secondaires pourront également décider que toute nouvelle opération immobilière devra être consacrée à de la résidence principale. « On voit encore en zone tendue, là où la population n’arrive pas à se loger, des opérations sortir avec une grande partie des logements destinés à faire du meublé de tourisme », précise Iñaki Echaniz.

Les règlements de copropriété pourront être modifiés pour interdire ce type de location.

Un parcours de chausse-trapes

Le volet fiscal, qui a suscité une levée de boucliers à droite, a abouti à un compromis qui laisse la gauche un peu amère. Pour les meublés non classés, l’abattement fiscal sera le même, 30 %, que pour la location de longue durée. Mais pour les logements classés, elle passe de 70 à 50 %, et reste donc toujours plus avantageuse que la location classique. « On voulait aller plus loin mais le Sénat a bloqué », reconnaît Aurélie Trouvé, vice-présidente de la CMP.

Exonérés jusque-là des obligations de rénovation thermique, les meublés de tourisme devront progressivement se mettre aux normes communes, la droite ayant beaucoup œuvré à assouplir au maximum ce calendrier, qui reste encore bien plus souple pour ces locations.

Le vote définitif de cette proposition de loi est l’aboutissement d’un long et tortueux parcours où les chausse-trapes n’ont pas manqué. Il y a près de trois ans que le gouvernement, devant le ras-le-bol des maires confrontés à la crise du logement, a annoncé qu’il était prêt à soutenir un encadrement de ce type de location. Dans les faits, il a pourtant tout mis en œuvre pour laisser le texte s’enliser.

En février 2023, devant la Fondation Abbé Pierre, Aurore Bergé, alors porte-parole du gouvernement, affirme qu’il est temps de réguler cette activité. Un texte transpartisan est déposé en ce sens. Premier coup de théâtre au printemps 2023 : le texte est retiré de l’ordre du jour de l’Assemblée in extremis au profit d’un texte sur les déserts médicaux. « C’est aussi une question importante », avance, conciliante, Annaïg Le Meur, qui se voit alors confier par la première ministre de l’époque, Élisabeth Borne, un rapport sur la fiscalité locative. Histoire de gagner – ou de perdre, c’est selon – encore un peu plus de temps…

En juillet 2023, pour montrer qu’il ne fait pas tout à fait rien sur le sujet, le gouvernement annonce même, en grande pompe, la création d’un Observatoire du logement dans les territoires touristiques… Comme si de multiples rapports et études n’avaient pas déjà solidement établi un diagnostic sur l’attrition du marché locatif dans ces zones.

Alors qu’il arrive enfin dans l’hémicycle en décembre 2023, c’est cette fois le travail d’obstruction du Rassemblement national (RN) et des Républicains (LR), main dans la main, qui torpille le texte. Une avalanche d’amendements parfois sans aucun rapport avec le sujet oblige à l’ajourner à nouveau et il ne sera adopté en première lecture qu’un juin 2024… quelques jours avant la dissolution !

Les manœuvres du géant américain

Il faut dire qu’en coulisses, Airbnb, partenaire officiel des Jeux olympiques, et dont la France est le deuxième plus gros marché après les États-Unis, n’a pas ménagé ses efforts pour faire dérailler le texte, ou le rendre le moins contraignant possible. Les députés qui travaillent sur le texte ont reçu des centaines de courriels d’« hôtes » d’Airbnb leur expliquant par le menu les graves conséquences économiques que pourrait avoir cette proposition de loi texte.

Pendant cette période cruciale, le député Horizons François Jolivet, chargé des questions de logement dans la majorité, recrute comme assistant parlementaire l’ex-responsable des affaires publiques de la firme américaine, comme l’avait révélé Mediapart. Un lobbyiste d’ailleurs déjà recruté par Airbnb au sein du cabinet d’Élisabeth Borne.

À la veille de la commission mixte paritaire, Airbnb a envoyé à certains parlementaires – triés sur le volet – une « note blanche » en forme d’argumentaire pour dynamiter les points les moins acceptables pour la plateforme.

La « note », que Mediapart s’est procurée, dénonce avec force une loi qui va porter atteinte « au pouvoir d’achat » des Français. Airbnb assure aussi qu’« une réduction de l’offre mènerait irrémédiablement à une augmentation des tarifs au détriment des voyageurs et du tourisme ».

« L’ambition de “régler la crise du logement” ne doit pas céder à la tentation de limiter les droits des propriétaires de résidences principales dont la location exceptionnelle en courte durée n’impacte aucunement le marché du logement et l’offre locative longue durée », affirme la note.

« Il est erroné de penser que les touristes sont d’abord générateurs de nuisances alors qu’ils sont surtout vecteurs de dynamisme économique et de vitalité pour les territoires », pointe l’argumentaire, qui fournit quelques chiffres sur les emplois générés par cette activité.

Concernant les obligations de rénovation énergétique, Airbnb demande un assouplissement en fonction de la réalité des territoires et attire l’attention du législateur sur les « stations de montagne mais aussi villes moyennes littorales, dépendantes de leur parc de résidences de tourisme construit en grande partie dans les années 1970 et ne répondant pas aux exigences de performance énergétique actuelles ».

Le géant américain préconise aussi la suppression des mesures sur la copropriété qui seraient « en contradiction avec le droit constitutionnellement protégé de propriété ».

Il se trouve que j’ai les mêmes arguments que Airbnb.
Le député RN Alexis Jolly

Ce jeudi, dans l’hémicycle, le député RN Alexis Jolly, seul à s’opposer à ce texte transpartisan, a semblé réciter, presque mot pour mot et quasiment dans l’ordre, la note blanche d’Airbnb.

« Nous refusons de voir la gauche étouffer encore une fois les petits propriétaires et les collectivités locales, a-t-il déclaré en préambule de son intervention et avant de développer l’importance pour le pouvoir d’achat des Français de ces locations. Pour beaucoup de foyers, il n’y a pas d’autre solution que de recourir à la location courte durée pour absorber l’augmentation des coûts de la vie. »

Le député frontiste de l’Isère a aussi développé l’argument du droit « constitutionnel » de propriété que ce texte attaquerait : « Le droit de propriété qui est un des fondements de la République. »

Rappelant qu’il est issu d’un territoire de montagne, Alexis Jolly a rappelé que dans ces espaces, « l’économie repose en grande partie sur le tourisme et donc sur ces locations de courte durée ». Pas question d’imposer non plus à ces locations une rénovation énergétique, insiste-t-il. Ce texte reviendrait donc à « mépriser les réalités économiques de nos territoires ». Pour lui, cette loi va « mettre en péril des emplois touristiques et des modèles économiques fonctionnels ».

Interrogé par Mediapart, Alexis Jolly assure n’avoir « pas eu connaissance de cette note ». « Je n’ai lu aucun argumentaire d’Airbnb, souligne-t-il. Il se trouve que j’ai les mêmes arguments », nous répond l’élu lorsqu’on lui oppose la similitude frappante de son intervention avec la note de la plateforme.

Minoritaire, après le ralliement de la droite LR au texte amendé par le Sénat, le RN n’a donc pas réussi à avoir gain de cause sur ce texte. Mais Airbnb sait qu’il peut désormais compter sur le plein soutien du groupe d’extrême droite pour la suite.

Article MEDIAPART du 7 novembre 2024

Article publié le 8 novembre 2024.


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