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« Le vote d’un impôt sur les milliardaires est historique »

Alors que les députés ont adopté jeudi l’impôt minimal sur le patrimoine des milliardaires, l’inspirateur de cette mesure, l’économiste Gabriel Zucman, se montre optimiste quant à son passage au Sénat et qualifie de « tartufferie fiscale » le projet du gouvernement.

Une étape de franchie. Jeudi soir, les députés ont largement voté, à 116 voix, contre 39, la proposition de loi des Ecologistes visant à instaurer un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultra-riches. Ce dispositif concernerait, selon les rapportrices Clémentine Autain et Eva Sas, 1 800 personnes (0,01 % des contribuables) et rapporterait de 15 à 25 milliards d’euros. Il est directement inspiré des travaux de l’économiste français Gabriel Zucman, qui a participé l’an dernier aux réflexions du G20 sur un impôt minimal mondial. Ce spécialiste de l’interaction entre politique fiscale et inégalités, professeur à Berkeley en Californie et à l’Ecole d’économie de Paris revient pour Libération sur la portée de l’adoption de ce texte à l’Assemblée nationale.

Comment qualifiez-vous le vote de jeudi à l’Assemblée ?

C’est une victoire historique. C’est la première fois qu’une loi de cette nature, qui vise à instaurer un taux minimum d’imposition sur les personnes ayant plus de 100 millions d’euros de patrimoine, est votée. Et elle l’est avec une très nette majorité : sur 155 députés qui se sont exprimés, 75 % ont voté pour et 25 % contre. Ce vote très clair reflète le fait que ce type de mesure est plébiscité par l’opinion publique. Toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’en France comme à l’étranger, 70 %, 80 % des citoyens sont en faveur de mesures de cette nature. Que, pour la première fois, cette volonté populaire, démocratique se traduise concrètement par un vote à l’Assemblée nationale, c’est une très, très grande avancée.

Victoire qui risque de rester symbolique, puisque le gouvernement s’oppose à cette loi, comme sans doute les sénateurs…

Je suis plus optimiste. Bien sûr, le chemin est escarpé, mais je crois que ce vote est révélateur d’une équation favorable. Jeudi soir, il y a eu une très forte démobilisation des députés du bloc central, qui ont déserté l’hémicycle, ce qui est très significatif sur un vote aussi important. Cela traduit le fait que le coût politique de voter contre un impôt minimum sur les très grandes fortunes est clairement devenu trop élevé. C’est pour moi la grande leçon politique de cette journée, et c’est aussi ce qui me rend assez optimiste pour la suite. Je pense que c’est cette réalité-là qui va aussi s’exprimer au Sénat. C’est une mesure ultra-majoritaire dans l’opinion, débattue alors que nous sommes dans un contexte budgétaire où il existe des besoins considérables pour éponger les déficits, pour financer nos services publics, peut-être pour se réarmer. Est-ce que le Sénat va prendre le risque de prendre fait et cause pour la défense des privilèges fiscaux des milliardaires ? Ce n’est pas évident. Il ne faut pas en même temps, être naïf et sous-estimer la puissance des conservatismes et des intérêts qui vont se mobiliser pour ralentir l’adoption définitive.

Plusieurs critiques sont revenues, notamment le risque d’anti-constitutionnalité…

Cet impôt minimum maintient un socle de 100 millions d’euros avant que l’imposition commence à s’appliquer. Il semble difficile de prétendre qu’il y a un risque de confiscation. D’autant plus que cet impôt minimum permet de se conformer au principe fondamental inscrit noir sur blanc dans la Constitution d’égalité devant l’impôt, puisque tout part du constat que les milliardaires paient deux fois moins de prélèvements obligatoires en proportion de leurs revenus que toutes les autres catégories sociales, ce qui est une violation manifeste du principe constitutionnel. Le taux minimum de 2 % choisi permet simplement d’effacer cette régressivité, il ne vient pas rendre le système fiscal progressif. C’est une application a minima du principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt.

Le gouvernement s’est opposé à cette proposition de loi. Il a pourtant promis aux socialistes en échange de sa non-censure de transformer la contribution sur les hauts revenus en mécanisme anti-optimisation. Etes-vous associé à ces travaux ?

Je ne le suis pas. La ministre des Comptes publics a dit travailler sur un dispositif visant à instaurer un taux minimum de 0,5 % du patrimoine, à l’exclusion des biens professionnels. Ces derniers représentent 90 % du patrimoine des personnes concernées. Un dispositif de cette nature ne rapporterait donc rien et ne changerait rien à la situation actuelle. C’est une simple tartufferie fiscale. J’espère que les débats qui ont eu lieu jeudi vont permettre au gouvernement de prendre la mesure de la demande démocratique et de l’insuffisance de la proposition qu’ils ont mise sur la table.

Les ministres des finances du G20 se retrouvent au Cap mercredi et devraient rediscuter d’une taxe minimale mondiale sur les milliardaires. Le retour de Trump obère-t-il toute possibilité d’avancer ?

Heureusement que non, il n’y a pas besoin de l’unanimité. Le meilleur exemple, c’est l’impôt minimum sur les grandes entreprises de 15 %. Les Etats-Unis ne l’appliquent pas, ne l’ont jamais ratifié, ne vont pas le ratifier sous Trump. Néanmoins il existe, et il est appliqué dans l’UE. On pourrait faire la même chose pour les milliardaires, Trump n’est donc pas un obstacle en soi. Les discussions au G20 continuent, c’est au tour des ministres des Finances du G20 de s’approprier cette proposition nouvelle, de bien en comprendre les tenants et les aboutissants. Ce processus prendra du temps, personne ne pense que ce sera moins de deux ans.

Article Libération du 24 février 2025

Article publié le 25 février 2025.


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