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Les juges qui investiguent sur le rôle de McKinsey dans les campagnes présidentielles 2017 et 2022 du chef de l’État s’intéressent aussi au début de la relation entre la firme américaine et Emmanuel Macron, avant sa première élection, selon des informations de Mediapart.
Le vœu d’Emmanuel Macron est exaucé. « S’il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal », avait lancé, agacé, le chef de l’État lors de l’une de ses rares interviews sur l’affaire McKinsey, en mars 2022 sur France 3. Le dossier est depuis non seulement « allé au pénal », comme le souhaitait le président, mais a pris plus d’ampleur encore.
Selon nos informations, l’enquête judiciaire ouverte sur les soupçons de collusion entre la firme américaine et le parti au pouvoir, notamment dans le cadre des campagnes présidentielles 2017 et 2022, a été élargie, à la suite d’un réquisitoire supplétif pris par le Parquet national financier (PNF) en juin 2023, au chef de favoritisme (et recel de ce délit) entre 2015 et 2016. Soit la période au cours de laquelle les liens entre Emmanuel Macron, alors ministre de l’économie de François Hollande, et le cabinet de conseil se sont raffermis, à coups de services réciproques, comme l’avait raconté Mediapart.
Les juges soupçonnent un renvoi d’ascenseur entre le camp macroniste et McKinsey, qui a travaillé pour l’État au moment où plusieurs de ses salariés se sont mobilisés pour l’avenir politique d’Emmanuel Macron.
Après l’arrivée d’Emmanuel Macron à Bercy en août 2014, la filiale française de McKinsey, dont le département secteur public était dirigé par une vieille connaissance de l’actuel président, avait notamment décidé d’offrir des prestations pro bono, sans contrat ni rémunération, au ministre de l’économie. Tandis qu’au même moment, plusieurs membres de ce même département secteur public avaient participé, tout aussi gracieusement, au lancement du mouvement En marche, qui allait servir de tremplin au futur candidat à l’élection présidentielle.
Interrogé sur cette implication dans la campagne, l’entourage d’Emmanuel Macron avait expliqué à Mediapart que les contrats décrochés par McKinsey n’avaient rien à voir avec l’engagement de plusieurs de ses représentants, présenté comment étant individuel et « bénévole » – la contribution d’entreprises à des campagnes électorales étant parfaitement interdite par la législation française.
2 800 euros la page
Mais des mails révélés par « Cash Investigation » en septembre 2024 sont venus affaiblir cet argument de défense. Ces documents montrent en effet que des salarié·es de McKinsey ont développé pendant des mois, en 2016, une plateforme numérique, baptisée « Au service de tous », ayant pour objectif de mobiliser les citoyen·nes dans la campagne. Le « lancement » de ce projet, baptisé « Chicxulub » – nom d’un cratère creusé par l’astéroïde qui aurait provoqué l’extinction des dinosaures –, avait été annoncé par Karim Tadjeddine, le directeur du département secteur public de McKinsey France dans un mail envoyé depuis son adresse professionnelle, le 6 avril 2016, au moment même de la présentation officielle d’En marche par Emmanuel Macron.
Deux consultants du cabinet de conseil avaient déjà participé, dès 2015, à des réunions en comité restreint, à Bercy, pour anticiper la création de son parti. « Dès 2015 et 2016, des membres de McKinsey ont préparé la campagne », a ainsi confirmé auprès de « Cash Investigation » un ancien proche du chef de l’État, sous couvert d’anonymat, en expliquant avoir « depuis le début » ressenti des « questionnements sur l’éthique des relations entre McKinsey et la campagne ».
Outre les soupçons de favoritisme pendant cette période, l’enquête judiciaire confiée à des juges du pôle financier du tribunal de Paris porte aussi sur de possibles faits de corruption, trafic d’influence, abus de confiance, tenue non conforme des comptes de campagne 2017 et 2022, ainsi que détournement de fonds publics entre 2020 et avril 2022. Ce dernier chef porte, comme l’avait révélé Mediapart, sur les « livrables » McKinsey de la fameuse mission « sur l’évolution du métier d’enseignant », payés par l’État en 2020 à hauteur de 496 800 euros, soit 2 800 euros la page.
Ces documents, en grande partie composés d’une compilation d’études disponibles en sources ouvertes, n’avaient pas été utilisés par le ministère de l’éducation nationale mais avaient en revanche été recyclés dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron, deux ans plus tard.
Article MEDIAPART du 13 janvier 2025
Article publié le 22 janvier 2025.