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La direction générale du Trésor a publié une note chiffrant à 66,8 milliards d’euros le dérapage surprise des comptes publics en 2023 et en 2024 par rapport aux prévisions des gouvernements Borne et Attal, qui se sont plantés sur toute la ligne.
La note est très salée. Absolument pas prévu par les gouvernements Borne et Attal et le ministre de l’économie et des finances d’alors, Bruno Le Maire, le dérapage des comptes publics qui s’est produit entre la fin de l’année 2023 et durant toute l’année 2024 atteindrait in fine 66,8 milliards d’euros en cumulé, selon une note de la Direction générale du Trésor (DGT) publiée le 20 janvier.
À titre de comparaison, c’est plus d’une année de budget de l’Éducation nationale, ou même davantage que les milliards que le gouvernement Borne comptait initialement économiser entre 2023 et… 2030 grâce à sa réforme des retraites décalant l’âge de départ à 64 ans.
Dans le détail, le dérapage surprise est de 16 milliards d’euros en 2023 et de 50,8 milliards en 2024. En termes de pourcentage du PIB, le déficit public s’est concrètement creusé de 5 à 5,5 % en 2023 par rapport à ce qui était prévu, et de 4,5 à 6,1 % en 2024. Sachant que ce dernier chiffre est encore provisoire : il faudra attendre la publication de l’Insee en mars prochain pour connaître le niveau exact du déficit public pour 2024.
Conscientes depuis plusieurs mois de l’incroyable trou dans les comptes publics, les deux chambres du Parlement ont lancé des investigations pour établir les responsabilités politiques.
Côté Sénat, c’est une mission d’information de la commission des finances, présidée par le socialiste Claude Raynal, qui suit le dossier de près. C’est celle-ci qui avait alerté en premier sur le risque de dégradation des comptes publics au printemps 2024.
À l’Assemblée nationale, la commission des finances présidée par l’Insoumis Éric Coquerel a lancé une commission d’enquête sur le dérapage des finances publiques. Preuve que le sujet est très sensible, elle va auditionner d’ici mi-février le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler, considéré comme le deuxième personnage le plus puissant de l’État après Emmanuel Macron.
En 2023, tout dérape
Déjà auditionné·es par le Parlement en novembre 2024, les anciens ministres, premier et première ministres en fonction – aux premiers rangs desquel·les Bruno Le Maire, Gabriel Attal et Élisabeth Borne – ont pour leur part rejeté la faute sur les mauvaises prévisions de l’administration fiscale.
La note de la DGT, un des services les plus puissants de Bercy, donne dans ce cadre un éclairage intéressant. Ce qu’elle admet d’emblée, c’est que les répercussions de la situation « exceptionnelle sur le plan macroéconomique » de l’année 2023 sur les comptes publics ont été mal évaluées.
L’impôt sur les sociétés a ainsi été sous-évalué de 14,5 milliards d’euros en 2024, l’impôt sur le revenu de 6,1 milliards.
L’année 2023 a en effet connu deux événements majeurs qui se sont entrechoqués, rappelle la DGT : « Une inflation historiquement élevée (+ 4,9 %) et un durcissement de la politique monétaire inédit par sa rapidité. » Il est vrai que la Banque centrale européenne (BCE), au nom de la lutte contre l’inflation, a remonté ses trois taux directeurs – qui guident le niveau des taux des prêts et des dépôts dans la zone euro – de moins de 1 % à l’été 2022, à plus de 4 % à partir de septembre 2023. Ce qu’on peut définir comme une cure d’austérité monétaire, après une décennie de taux bas, voire négatifs.
C’est durant cette période d’inflation et de remontée intense des taux que tout est parti en vrille pour les finances publiques françaises. La croissance économique – atone à 0,9 % en 2023 – a alors produit beaucoup moins de recettes que prévu. Dans le jargon économique, on dit que l’élasticité des recettes à l’activité économique a été plus faible qu’anticipé. Ce manque de recettes a créé à lui seul un trou de 20,7 milliards d’euros dans les comptes de 2023.
Cela s’explique, selon la Direction générale du Trésor, d’abord par la part anormalement faible en 2023 des salaires dans la croissance, sur lesquels sont assis de nombreuses recettes ; mais aussi par la hausse non prévue des demandes de remboursement de crédits de TVA par des entreprises dont la trésorerie était alors sous pression à cause de l’inflation et de la remontée des taux d’intérêt de crédits ; et enfin par une dégradation surprise des recettes de l’impôt sur les sociétés (IS) payé par les entreprises.
La DGT précise que les recettes de l’IS ont notamment été moindres qu’attendu car certains grands groupes du secteur de l’énergie – très profitables grâce à l’inflation – se sont imputé des déficits comptables d’années précédentes afin d’alléger leur charge fiscale sur les bénéfices.
À cela il faut ajouter un rendement sous-évalué de la contribution sur la rente intramarginale (Crim), un impôt sur les énergéticiens, à hauteur de 2,8 milliards d’euros.
L’exécutif macroniste complètement à l’ouest
Mais ce n’était qu’un début. La situation a largement empiré en 2024 puisque le manque surprise de recettes dans les comptes publics atteindrait… 40,1 milliards d’euros, selon la DGT.
Certes cette dernière précise toutefois qu’ « une partie importante de l’écart sur 2024 (-20,7 milliards d’euros) s’explique par la répercussion sur 2024 des écarts constatés en 2023 », car « la méthode de prévision des prélèvements obligatoires s’appuie largement sur le montant de l’année précédente, ainsi constater une moins-value une année conduit a priori à dégrader la prévision de l’année suivante d’autant ».
Ceci dit en 2024, l’activité économique ne s’est pas redressée, contrairement à ce qui était espéré par l’exécutif – la croissance s’est établie à 1,1 %, contre 1,4 % prévu. Pis, en matière de recettes fiscales, la sentence se fait souvent ressentir l’année suivant le début du marasme puisque plusieurs impôts, au premier rang desquels l’impôt sur le revenu, sont perçus sur la base des revenus de l’année précédente.
Ainsi « la surprise liée à l’année 2023 a joué de manière amplifiée sur 2024 », déplore la DGT. L’impôt sur les sociétés a ainsi été sous-évalué de 14,5 milliards d’euros en 2024, l’impôt sur le revenu de 6,1 milliards et les recettes de TVA de 11,3 milliards d’euros du fait d’une croissance « plus tournée vers les exportations » mais surtout de modèles de prévisions statistiques déréglés depuis la crise du Covid.
Un autre angle mort de la prévision concerne les dépenses des collectivités locales, supérieures de 13,4 milliards à ce qui était prévu dans le budget 2024 adopté, rappelons-le, par 49-3 sans que les collectivités aient eu voix au chapitre. Leurs dépenses de fonctionnement auraient ainsi « dérapé » de 8 milliards en 2024, et celles dédiées à l’investissement de 5,4 milliards d’euros.
Mais là aussi, la Direction générale du Trésor explique que le dynamisme des dépenses des collectivités « pourrait en partie s’expliquer par des effets retardés de l’inflation et par la mobilisation de la trésorerie accumulée au cours des années précédentes ». À demi-mot, le Trésor concède donc que l’impact de l’inflation sur les finances locales a également été mal évalué.
Rappelons que lorsque le scandale du dérapage budgétaire a surgi début septembre, Bruno Le Maire en avait reporté la responsabilité première sur les épaules des élus locaux prétendument trop dispendieux. Une accusation battu en brèche.
Par ailleurs, au-delà des justifications techniques de la DGT, on peut tout de même questionner la bonne compréhension des conséquences budgétaires des phénomènes économiques dans les rangs de l’exécutif macroniste d’alors. Exécutif pourtant réputé sachant en matière d’économie, et qui s’était présenté dès 2017 comme le mieux à même de bien gérer les finances publiques.
L’exemple le plus éclatant de l’inculture économique du pouvoir est certainement son absence d’anticipation des impacts négatifs en cascade sur l’activité et les comptes publics de la politique monétaire très restrictive de la BCE. Celle-ci ciblant l’inflation qui, en France, n’était absolument pas liée à une surchauffe de la consommation et de l’investissement, mais plutôt à l’envolée des prix des matières premières et à une boucle prix-profit mise en place par les grands groupes.
Il paraissait alors évident qu’une remontée des taux d’intérêt, dont le but premier est de casser la demande de l’économie, ne ferait qu’empirer les choses. Hélas, l’exécutif a préféré croire dans l’efficacité de sa politique de l’offre et de ses baisses d’impôts sur le capital pour contrer cet effet récessif, asséchant de fait les caisses de l’État. Une vision qui a mené au désastre.
Article MEDIAPART du 22 janvier 2025
Article publié le 22 janvier 2025.