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Régularité, sincérité et fidélité : l’État appelé à améliorer ses comptes

Dans un référé adressé à l’exécutif, la Cour des comptes pointe la “persistance d’anomalies” et “d’incertitudes significatives” dans les états financiers de l’État. La faute, selon elle, à l’insuffisance des moyens consacrés à la préparation des comptes au sein de la direction générale des finances publiques, mais aussi à une coordination “parfois déficiente” des plans d’action comptables des administrations.

Si des efforts ont été réalisés ces dernières années en la matière, l’État a encore du chemin à parcourir avant d’accroître la fiabilité de ses comptes. C’est le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, qui le dit dans un référé adressé à l’exécutif sur la mise en œuvre des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) sur la certification de la régularité, de la sincérité et de la fidélité des comptes de l’État. Un référé mis en ligne le 13 décembre et qui fait suite à l’acte de certification des comptes de 2023 publié en avril dernier, par lequel les magistrats financiers présentaient une opinion “avec réserve” sur ces comptes.

Dans son référé, la Cour pointe en effet la “persistance d’anomalies” et “d’incertitudes significatives” dans les états financiers de l’État. Dans son dernier audit, l’institution a ainsi constaté 5 anomalies comptables pour des montants “très significatifs”, c‘est-à-dire de l’ordre de plusieurs dizaines milliards d’euros, mais également, donc, plusieurs “incertitudes” tenant à des situations “où il n’est pas possible de confirmer ou d’infirmer la régularité, la sincérité ou la fidélité des chiffres figurant dans les états financiers” [voir le détail de ces “anomalies” et “incertitudes” dans l’encadré qui suit cet article].

Résultat, selon la Rue Cambon : “l’État ne semble pas aujourd’hui sur une trajectoire qui lui permettrait de publier, d’ici à quelques années, des comptes sans réserve”. Une situation insatisfaisante à ses yeux, à rebours de la “démarche de transparence financière” promue par la Lolf comme par la Constitution.

“Problème de ressources”

Selon la Cour, cette persistance d’anomalies et d’incertitudes serait notamment la conséquence de “l’insuffisance de moyens” consacrés à la préparation des comptes de l’État au sein de la direction générale des finances publiques (DGFIP). Un “problème de ressources” qui, selon elle, explique la “capacité limitée” de la direction à “répondre aux observations intermédiaires” de la Rue Cambon ou à “traiter les difficultés relevées”.

Les magistrats ne nient pas l’immensité du chantier que doit accomplir chaque année cette direction. Celle-ci doit en effet préparer les comptes annuels d’un “ensemble complexe de près d’une vingtaine de périmètres ministériels”, “d’opérations réalisées sur l’ensemble du territoire” et “portant sur des processus très variés”, relèvent-ils.

Mais pour pouvoir assurer une telle mission, la DGFIP “devrait pouvoir s’appuyer plus qu’aujourd’hui sur des ressources humaines suffisamment nombreuses”, explique la Cour, en appelant aussi à la modernisation de certains de ses systèmes d’information. Leur obsolescence est “en partie responsable d’incertitudes”, estiment en effet les magistrats financiers en citant notamment le domaine fiscal.

Coordination interministérielle parfois “déficiente”

Au-delà de la DGFIP elle-même, il faut rectifier le tir au niveau interministériel, estime la Rue Cambon, en relevant une “coordination parfois déficiente des plans d’action des différentes administrations”. Si la direction est responsable de la préparation des états financiers de l’État, celle-ci “ne peut pas ou ne souhaite pas prendre la responsabilité de plans d’action ou d’arbitrages comptables qui permettraient de résoudre certaines anomalies ou incertitudes mais qui concernent parfois d’autres ministères”, est-il écrit dans son référé.

Les magistrats de la Cour des comptes citent l’exemple des plans d’action pluriannuels qui ont pu être mis en place par les ministères, comme l’inventaire des actifs routiers et autoroutiers ou la valorisation des stocks des armées. Quand ils existent, ces plans “sont très insuffisants et laissés à la seule appréciation des ministères sans coordination d’ensemble”, regrette la Cour, appelant la DGFIP à s’assurer “que des plans d’action appropriés sont élaborés et mis en œuvre chaque fois que des insuffisances comptables graves sont identifiées”.

La séparation ordonnateur-comptable, un obstacle

“D’autres sujets, apparus plus récemment, nécessitent moins une action de long terme qu’une réaction rapide de la DGFIP, afin d’en permettre une traduction correcte de l’action de l’État dans les états financiers de l’exercice”, poursuit la Rue Cambon, en référence précisément aux incertitudes qui ont affecté la comptabilisation des prêts garantis par l’État à partir de 2020 ou celle des “boucliers tarifaires” à partir de 2022. “Dans ces deux cas, la DGFIP était dépendante d’informations provenant d’autres services de l’État, relèvent les magistrats. Elle a eu des difficultés à obtenir ces informations, à anticiper les questions comptables qui se posaient et à imposer, dès le début de la mise en œuvre des dispositifs concernés, les conditions d’une correcte prise en compte dans les états financiers de l’État.”

Reste que l’amélioration de la coordination des plans d’action des différentes administrations pourrait se heurter à un principe cardinal de l’ordre public financier : la séparation ordonnateur-comptable. Le ministre démissionnaire chargé du Budget, Laurent Saint-Martin, revient d’ailleurs sur cette problématique dans sa réponse au référé de la Cour des comptes : “Si la DGFIP peut légitimement, en tant que producteur des comptes, inviter ses partenaires à engager des travaux pour résoudre les anomalies comptables, elle ne peut en aucun cas les y contraindre, en application du principe de séparation des ordonnateurs et des comptables.”

Une information à améliorer

Dans sa réponse, le ministre sortant assure toutefois partager avec la Rue Cambon “le même souci de transparence” s’agissant de la publicité des comptes. Dans leur référé, les magistrats relevaient une communication “édulcorée” sur les comptes de l’État et même une “information tronquée” de la part de l’exécutif. Cette communication, expliquent-ils, “indique fréquemment” que la régularité, la sécurité et la fidélité des comptes 2023 de l’État ont été certifiés par la Cour, sans mentionner pour autant “que c’est sous la réserve de 5 anomalies significatives et de 11 incertitudes”.

Pour la Rue Cambon, il faudrait donc “au minimum”, désormais, “que toute mention de l’acte de certification dans la communication financière de l’État indique que la Cour a émis une opinion avec réserve”. Le tout conformément aux formules des standards d’audits internationaux. Les magistrats financiers jugent aussi “très souhaitable” que le compte général de l’État soit précédé d’une page rappelant la synthèse de l’opinion de la Cour “telle que formulée dans l’acte de certification”.

Le ministre ne donne pas totalement suite à ces recommandations. Ainsi, si Laurent Saint-Martin annonce vouloir demander à ses services d’indiquer dans leur communication que les comptes sont certifiés“avec réserve”, il lui paraît souhaitable de “conserver la distinction entre les documents élaborés par le producteur des comptes et ceux du certificateur qui reflète la séparation organique et le rôle différencié de chacun d’entre eux”. Le ministre démissionnaire juge donc non opportun “d’intégrer directement” la synthèse de l’opinion de la Cour dans le compte général de l’État. “Toutefois, la DGFIP y insérera à l’avenir une mention indiquant que les comptes sont certifiés avec réserve et que l’acte de certification peut être consulté sur le site internet de la Cour”, précise-t-il.

Les 5 anomalies relevées par la Cour
Dans l’acte de certification des comptes de 2023, publié en avril dernier, la Rue Cambon pointait 5 anomalies “significatives” affectant les comptes de l’État. À ses yeux, les matériels militaires étaient surévalués – d’au moins 3 milliards d’euros –, tout comme la participation de l’État au capital d’EDF (de 12 milliards d’euros). Pour la Rue Cambon, la participation de l’État dans la Caisse des dépôts était quant à elle sous-évaluée de 28 milliards d’euros. Les magistrats financiers relevaient aussi que l’annexe des comptes de l’État ne faisait pas mention de certains engagements hors bilan pris par l’État actionnaire, “notamment celui de garantir la dette de Bpifrance à hauteur de 45 milliards d’euros”. Par ailleurs, “l’engagement pris par l’État au titre du remboursement de l’emprunt émis par l’Union européenne pour financer le plan de relance européen ne figure pas dans la liste des engagements donnés”.

Article Acteurs Publics du 17 décembre 2024

Article publié le 18 décembre 2024.


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