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Série Parfums d’amertume : Une balade olfactive dans le sud de la France entre parfums envoûtants… et réalités sociales et écologiques invisibilisées. De Grasse à Hyères, c’est toute une économie de la fleur qui, derrière le glamour, cache ses difficultés. Mais beaucoup d’acteurs et d’actrices du secteur tentent de changer les choses.

Épisode 3/6 : Le mimosa, aussi toxique que précieux

Sur la Côte d’Azur, alors que la floraison hivernale du mimosa attire de plus en plus de visiteurs, certaines espèces toxiques se sont échappées des jardins et ont profité des incendies dans la région pour envahir les massifs. La gestion de ces plantes provoque des dissensions entre les professionnels du tourisme et ceux de la conservation du littoral.Le lavandin, une culture sèche qui boit la tasse.

Bormes-les-Mimosas, Hyères, La Croix-Valmer (Var).– Une douce odeur plane dans la ville médiévale de Bormes-les-Mimosas en ce milieu de printemps. Dans la commune provençale, multilabellisée pour son décor fleuri, 700 espèces de fleurs poussent dans les murets de pierres et les jardinières. Mais la vraie star du coin est contenue dans le toponyme : c’est le mimosa.

Si la floraison est passée depuis quelques mois, la fleur jaune à pompons a laissé son empreinte dans les commerces de la ville : un concept-store vend des bougies à 30 euros, un marchand de glaces propose l’« incontournable glace parfum mimosa », et le bar attenant une bière aromatisée à la fleur.

Bormes-les-Mimosas est le point de départ de la Route du mimosa – créée en 2011 – qui s’étend jusqu’à Grasse et permet de venir admirer les arbres en fleur sur toute la Côte d’Azur. Tous les hivers, la fleur est fêtée en grande pompe lors de corsos fleuris – jusqu’à 12 000 visiteurs et visiteuses simultanément dans le village médiéval, dont beaucoup repartiront avec un bouquet doré, vendu une dizaine d’euros.

« On essaye de structurer l’offre », explique David Goncalves, directeur de l’office du tourisme. « On propose des visites de pépiniéristes, ou du parc botanique, et les produits vont du cosmétique à la gastronomie. » Un atout pour le tourisme quatre saisons, et une manne financière indéniable.

La plupart des variétés ont été importées d’Australie – dont certaines régions présentent un climat méditerranéen. Joseph Banks, un botaniste anglais participant à l’expédition de James Cook, en ramène les premières graines en Europe dans les années 1770. La fleur est cultivée à partir du siècle suivant, puis observée pour la première fois en milieu naturel en 1864, à Cannes.

Particulièrement à l’aise sur le bassin méditerranéen, les espèces se reproduisent de manière non sexuée – un simple rejet dans la terre peut faire repartir une pousse, qui croît d’une cinquantaine de centimètres par an – et les graines peuvent rester plusieurs années sous terre sans mourir. « Naturalisé » sur le sol français, le mimosa s’accole au nom du village de Bormes en 1968.

« C’est une plante exotique invasive, tranche cliniquement Madeleine Freudenreich, écologue au Conservatoire botanique national (CBN) méditerranéen. Si toutes ne s’étendent pas, une dizaine d’espèces parmi les 450 connues dans le monde profitent de nos conditions méditerranéennes douces pour s’échapper de leur culture et des jardins et devenir envahissantes », explique la scientifique.

L’Acacia dealbata, le célèbre mimosa d’hiver par exemple, est classé en alerte majeure dans la région selon un ensemble de critères déterminés par les botanistes. En fixant l’azote et en rejetant des substances toxiques, il empêche la croissance d’autres espèces locales et patrimoniales autour de lui. Résultat : les sous-bois s’appauvrissent, voire deviennent monospécifiques, ce qui menace la survie d’espèces protégées, comme la tortue d’Hermann.

Et dans une région au risque d’incendie de plus en plus élevé, la plante, hautement inflammable, fait office de bombe à retardement. À l’office du tourisme de Bormes-les-Mimosas, David Goncalves l’assure : « La commune est très vigilante sur la question. On est quand même Fleur d’or en 2021, on a intérêt à prendre soin de cet aspect du développement durable. »

Connaître, recenser, gérer, informer

Au CBN, dont l’antenne méditerranéenne est située à Hyères, Madeleine Freudenreich et son collègue Yohan Petit, botaniste, s’apprêtent à faire un relevé d’espèces. Dans un massif en hauteur de la ville, les deux scientifiques s’introduisent sur un sentier, à la flore typiquement azuréenne. Sur cent mètres carrés, Yohan Petit, armé d’une loupe et d’un savoir méticuleux, repère quelque 60 espèces.

Hordeum murinum (orge des rats), Geranium purpureum (géranium pourpré), Trifolium scabrum (trèfle scabre)… sont recensés sur une tablette connectée à une base de données, en lien avec le conservatoire. Quelques centaines de mètres plus loin, une zone est infestée par le mimosa. Le tableau est désolant : sous les arbustes, il ne reste presque plus que des chardons.

Selon le botaniste, il y a moitié moins d’espèces que dans la zone précédente. Le jeune homme alerte : « Pour certaines espèces invasives comme les griffes de sorcières, il ne reste pratiquement plus qu’une seule espèce sur les zones occupées. » Il cite aussi le figuier de barbarie, la berce du Caucase, toxique, ou la jussie aquatique.

Échappées des jardins ou des aquariums, des parcs ou des cultures, parfois même introduites, pour stabiliser des dunes par exemple, les espèces envahissantes sont contrôlées et recensées par le CBN. Certaines, comme le mimosa bleuâtre, sont même interdites de commercialisation ou de plantation par l’Union européenne.

Les plantes introduites ne font généralement pas bon ménage avec la biodiversité locale, explique Madeleine Freudenreich, qui cite aussi l’exemple des platanes : « Massivement plantés en ville au XIXe siècle, ils ne peuvent abriter que deux espèces d’insectes, contre 400 pour le chêne. »

Créé en 1979, le conservatoire a pour objectif de connaître et de surveiller les plantes et d’en conserver les variétés, dans une grainothèque située sur l’île de Porquerolles. Il a aussi une mission de conseil pour les parcs nationaux. « L’objectif n’est pas d’éradiquer le mimosa, mais d’en limiter sa propagation », explique l’écologue.

Lors d’une conférence le soir même à destination des gestionnaires de parcs, de jardins, ou des particuliers, elle rappelle les bons gestes à adopter : tailler les végétaux avant la floraison, privilégier la culture en pot plutôt qu’en pleine terre, éviter de disperser des déchets végétaux dans la nature, et respecter les règles d’importation.

Des riches acheteurs dans la balance

Au parc national de Port-Cros, Camille Casteran est chef du secteur du cap Lardier, sur la presqu’île de Saint-Tropez. Il tend la main vers le massif où une grande tache vert clair s’étend. Ici, le mimosa a été la première espèce à prendre racine après l’incendie de 2018, qui a ravagé plus de 500 hectares.

Depuis, il tente tant bien que mal d’en limiter la propagation et l’opération est fastidieuse : dessouchage à la main, écorçage des troncs, ou encore location d’ânes pour le débroussaillage, moins coûteux que de la main-d’œuvre dans cette période de « réduction budgétaire ».

Le travail est infini et les moyens humains et financiers sont limités. « Et il n’y a pas d’obligation de l’éradiquer dans les propriétés privées », se désole le gestionnaire. Car ici, les terrains de luxe – le vignoble de Vincent Bolloré n’est pas loin – resserrent leur étau autour du parc et les jardins des belles villas sont gourmands en plantes exotiques. « C’est à cause d’un seul pin parasol livré par hélicoptère dans un jardin du Sud que la cochenille s’est répandue dans toute la région », rappelle Camille Casteran, qui note que les plantes sont pourtant censées avoir un passeport sanitaire.

Le pépiniériste de père en fils Julien Cavatore a, lui, envoyé 600 pieds de mimosa au Japon. Pour ce producteur et collectionneur – 250 variétés au compteur –, l’intérêt mondial pour la plante est une aubaine. Mais à savoir si la plante risque d’envahir le pays, il sèche : « C’est toujours un peu la surprise, comment une plante s’adapte au climat… » Cependant il l’assure, la plupart de ses mimosas sont greffés et ne peuvent plus donner de rejet si elles ne sont pas enterrées : « On limite ainsi la propagation. »

Il ajoute que de nombreuses variétés utilisées par exemple pour la parfumerie de luxe, et cultivées dans le massif du Tanneron, sont stériles. « À force de vouloir débroussailler, on n’a presque plus de mimosas à Bormes ! », regrette-t-il en résumant son amour pour ce bel arbuste : « C’est la première plante qui fleurit, elle annonce le printemps, elle sent bon et, surtout, son feuillage est incroyable et dure toute l’année. »

Article Mediapart du 31 juillet 2025

Article publié le 11 août 2025.


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