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INDUSTRIE La justice a reporté la comparution de salariés accusés par la multinationale d’avoir bloqué un de leurs sites. Une première victoire dans le cadre d’un mouvement social national inédit.
C’est un nouveau point en faveur des salariés de Thales. Alors que l’entreprise traverse un mouvement social inédit, les dix-huit employés et représentants syndicaux assignés hier au tribunal de Versailles – accusés d’avoir « bloqué » le site d’Élancourt (Yvelines) – ont vu leur affaire renvoyée au 7 avril malgré les arguments d’« atteinte aux intérêts stratégiques de la France et de son armée »avancés par la direction (lire notre édition du 25 mars 2022).La semaine dernière, le tribunal de Beauvais avait aussi refroidi les ardeurs du leader mondial des hautes technologies en reportant de la même façon la comparution de sept de leurs collègues du site de Méru (Oise).
« Pour nous, c’est plutôt une bonne nouvelle », signalent Sandrine Cornut et Anthony Perrocheau, coordinateurs CFDT Thales.« La direction semblait attendre qu’on craque, donc la décision (d’hier) est importante,indique Gregory Lewandowski, un des coordinateurs de la CGT.Elle nous laisse du temps pour continuer à mobiliser et à prolonger nos actions pour peser sur les négociations. »
Voilà deux mois en effet que CFDT, CFE-CGC, CFTC et CGT revendiquent énergiquement une revalorisation plus juste des salaires. L’intersyndicale, soutenue sur une cinquantaine de sites français du groupe répartis sur tout le territoire, y organise des rassemblements, voire des débrayages, tous les jeudis.« En moyenne, environ 5 000 salariés sont mobilisés chaque semaine et leur colère est forte », ajoute le cégétiste en rappelant que l’intersyndicale a aussi réussi à mobiliser entre 800 cents et 1 000 salariés devant le siège du groupe, dans le quartier d’affaires de la Défense (Hauts-de-Seine), le 10 mars.
Des discussions « au point mort »
Après une dernière réunion qu’il décrit comme« houleuse », vendredi, avec une direction venue sans aucune proposition et cherchant à minimiser les assignations en justice visant les salariés, les discussions seraient aujourd’hui« au point mort », selon Gregory Lewandowski, très critique de la« vision du dialogue social »chez Thales.« Au début, c’était du mépris, on nous disait qu’on était des privilégiés et qu’on n’avait pas à se plaindre. Ensuite, ça a été la volonté de passer en force malgré toutes les mobilisations et l’absence de vraies négociations. Aujourd’hui, on en est au stade de l’intimidation avec des actions en justice contre des salariés et des représentants syndicaux », relate le cégétiste.
Alors que les résultats du groupe sont excellents (chiffre d’affaires de 16 milliards d’euros, en hausse de 5,3 %, et bénéfice net de plus de 1 milliard, en hausse de 125 %), les salariés peinent à accepter la fin de non-recevoir de leur employeur, d’autant plus que les perspectives de croissance sont sans pareilles avec plus de 19 milliards d’euros de prises de commandes et un contexte géopolitique très favorable à l’industrie de la défense et de l’armement.L’intersyndicale entend donc amplifier les actions alors que plusieurs sites sont déjà passés à la vitesse supérieure depuis quelques semaines. En plus des sites d’Élancourt et de Méru, ceux de Cannes, Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes), Brest (Finistère), Gennevilliers (Hauts-de-Seine), Vélizy (Yvelines) – entre autres – ont mis en place de rigoureux barrages filtrants, voire des blocages complets, dans le but affiché de« perturber de manière encore plus efficace (…) l’activité économique de Thales », revendique un tract CGT.
« Nos revendications sont multiples »
Délégué CGT chez Thales SIX GTS, à Cholet (Maine-et-Loire), où des « blocages tournants » ont été installés jeudi, Anaël Thomas tient à rappeler le contexte social« très tendu depuis longtemps »au sein du groupe, et tout particulièrement dans son usine (2 000 salariés), spécialisée dans l’équipement radio destiné aux militaires.« Nos revendications sont multiples, ici nous sommes mobilisés avec des débrayages depuis juillet dernier », détaille-t-il.
Depuis le site de Thales Microelectronics d’Étrelles (Ille-et-Vilaine), où la production liée au Rafale représente 50 % de l’activité, Estelle Loisel (CGT) laisse entendre que le mouvement n’est pas près de faiblir :« Ça fait deux mois qu’on se bat pour avoir des augmentations décentes, pour pouvoir maintenir notre pouvoir d’achat. La direction ne veut rien entendre et ne comprend pas la méthode douce, donc… »
« Ce qui est certain, c’est que ça va se durcir, confirment Sandrine Cornut et Anthony Perrocheau.L’intersyndicale reste forte et déterminée à continuer ; il va y avoir de nouvelles actions, sur les sites mais aussi en justice », poursuivent les élus CFDT. La motivation semble toujours au rendez-vous chez les salariés, qui se préparent au grand rassemblement national prévu à Élancourt le 5 avril.
Article L’Humanité du 30 mars 2022
Article publié le 31 mars 2022.